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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

tant elles étaient cagneuses. N’importe, Brise-Morue prétendait qu’il était né bel homme, mais que son maître avait eu l’abominable méchanceté de couper le pied d’un papayer[1] très élevé, au sommet duquel il l’avait envoyé cueillir des fruits. Cette chute avait été cause de la difformité de ses pauvres jambes, encore agiles, du reste.

Quant à son nom de Brise-Morue, il lui venait du pari qu’il avait fait gagner à quelqu’un d’engloutir dans son estomac, toujours complaisant, une grosse morue salée dans laquelle il mordit à pleine bouche. Il faut dire que le pauvre diable était simple d’esprit, presque idiot, croyait-on, inoffensif d’ailleurs. On ne lui connaissait qu’une passion au monde, l’amour de sa cloche, la cloche de notre église dont il était sonneur. En vingt ans il n’arriva qu’une fois à un autre que lui de la mettre en branle. Encore réussit-il à terminer la

  1. La plupart des terres nouvellement défrichées produisent sans culture le papayer, arbre mince, élancé, et d’un bois si tendre qu’on le coupe aisément d’un coup de serpe. Ses feuilles ressemblent à celles du figuier de France, mais deux fois plus grandes ; dessous se trouvent des fruits attachés immédiatement à l’entour de l’arbre ; leur chair, semblable, en apparence, à celle du melon, est fade et douceâtre.