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YETTE SOUS LE JOUG.

compter déjà pour calculer cela. Ne craignez pas que je me fatigue à trop travailler ; je me porte très bien, je mange même beaucoup plus qu’à la maison, et je ne sais pas si c’est parce que j’ai faim ou que je m’habitue à la cuisine, mais les ragoûts ne me paraissent plus tout à fait aussi mauvais. Figurez-vous cependant qu’on ne met pas de sucre dans la soupe au lait et que nous n’avons de dessert qu’une fois par jour ! Quel dessert encore ! des amandes dures comme du bois, des petites figues sèches et du fromage sec aussi… mais je m’y suis faite. J’ai beaucoup d’amies très gentilles que je détestais d’abord, je ne sais plus trop pourquoi. Et puis voilà qu’il fait presque beau après un hiver si long et si triste ! Le ciel n’est pas bleu comme chez nous, mais il est clair, et les petites feuilles sortent de ces affreuses branches noires que j’avais crues mortes à tout jamais. C’est très amusant, et vous ne pouvez vous en faire une idée, vous qui n’avez jamais vu les arbres perdre toutes leurs feuilles. Quand vous viendrez, venez au printemps pour voir cela ; ne venez pas l’hiver, on s’enrhume, et c’est à peine si l’on voit clair à quatre heures de l’après-midi. Mlle Aubry a une petite perruche qui a manqué mourir de froid et d’ennui. J’étais un

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