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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

« Pendant la récréation ! s’écria Yette devenue tout à coup d’une pâleur effrayante et ses yeux assombris démesurément ouverts. Elle ne demeurera donc pas ici avec moi ?

— Vous devez comprendre, chère enfant, que c’est impossible ; chacune de nos cent vingt élèves ne pourrait avoir sa da avec elle. »

Yette la regarda fixement, se frappa le front de son poing fermé, comme pour se punir d’avoir compris si tard, puis, échappant au bras qui enlaçait sa taille, se mit à bondir frénétiquement à travers la chambre avec des cris de jeune tigre capturé par les chasseurs. Les mots : « Elle m’a laissé… toute seule !… toute seule ! Da ! ma da ! maman ! au secours ! » s’entremêlaient à un torrent d’injures nègres dont, par bonheur, Mlle Aubry ne saisit pas le sens.

Irritée de plus en plus par le calme qu’on lui opposait, elle se jeta sur la directrice, ses petits poings en avant. Puis, comme si elle eût réfléchi que ses poings ne suffiraient pas à sa vengeance, elle s’empara lestement du premier projectile qui lui tomba sous la main et le lança au milieu d’une grande et belle glace qui surmontait la cheminée. La glace craqua ; une énorme étoile projeta ses rayons du centre aux quatre coins, et les mor-