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GRANDGOUJON

foule, d’un large coup de sabre qu’ils pointaient vers le sol. Et on vit des tirailleurs sénégalais, des cavaliers, des artilleurs et de l’infanterie, encore et toujours, qui s’en venaient par masses, toutes les provinces ayant leur troupe héroïque à faire voir à la capitale. Derrière chacune, trottaient des blessés qui avaient retrouvé leur régiment et voulaient le suivre quelques minutes, tant bien que mal, d’une seule jambe, entre des béquilles, avec l’aide surtout de la musique qui rassemblait et ranimait cette misère éparse des anciens champs de bataille.

Mais le plus beau, sans doute, et le plus imprévu, fut un arrêt dans ce défilé triomphal. Les hommes firent halte et laissèrent voir leurs yeux, Alors, cette foule qui ne se contenait que pour qu’ils passâssent, se gonfla, déborda, et les vint embrasser.

Le soleil, cette fois, avait fondu les nuages. L’air était tiède et lumineux. Toutes ces âmes populaires se donnaient par les yeux ardents et les mains tendues. Puis l’admiration devint de la tendresse ; les cris se muèrent en paroles ; une buée flotta sur cette armée en sueur et sur ce peuple en joie, et une fraternité, plus forte que les cœurs mêmes, unit les civils avec leurs soldats.

Grandgoujon quitta son balcon. Il courut à la cuisine, suivi de Mariette éperdue :

— Donnez-moi deux bouteilles de vin… trois, quatre… Bon. Prenez-en autant… Passez-en au petit… Suivez-moi tous deux.