Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
GRANDGOUJON

— D’ivrogne ?… Monsieur le major, tout de même, ivrogne…

— Je vous dis de ne pas répéter mes mots !

— Mais, Monsieur le major, vous ne savez pas qui je suis : je suis un homme…

— Honnête, ils disent tous ça ; seulement vous avez la tremblote… Écoutez encore : dans vos cauchemars, il vous arrive parfois de tomber dans un puits ?

— Un puits ?

— Il répétera tout !… C’est bon… Quatrième liévreux. Emmenez-le.

Les trois autres médecins opinaient de la tête. Le caporal prit Grandgoujon par le bras, et ensemble ils suivirent des couloirs crasseux. Puis, le caporal apercevant un garde, fit signe ; l’autre répondit : « Par ici », et ouvrit une lourde porte. À eux deux, violemment, ils poussèrent Grandgoujon dans une cellule capitonnée ; la porte se referma, mais dedans un judas s’ouvrit, et le caporal, passant le nez, prononça : « Du repos, et au plaisir ! »

On ne peut pas dire que Grandgoujon se trouva dans un singulier état d’âme : ce n’était plus un état d’âme. Il avait une angoisse au creux de l’estomac ; ses oreilles bourdonnaient, et, pâle il murmura :

— Ça par exemple !…

Il était dans un cabanon.

Puis, sa stupeur, qui d’abord avait été de l’effroi, se changea bientôt en colère, et en colère aveugle, brutale, éperdue, où tout son être se déchaîna avec mille fois plus d’énergie que dans sa crise