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GRANDGOUJON

l’âme. » Tu vois, j’arrange même les vers du père Hugo… Ah ! le cochon !… Creveau, pas le père Hugo… Au revoir ! Je n’en ai pas pour longtemps, mais il s’en souviendra. On dit que la guerre révèle des gens : je me révèle ! Good by !

Il partit en courant, et il ruminait des phrases.

Chez Creveau, la même bonne lui ouvrit.

— Monsieur Creveau ?

— Il n’est pas là, Monsieur…

— Hum !… Est-ce sûr !

— Non, non, Monsieur !

— Ce n’est pas sûr ?

— Si, si, Monsieur !

— Alors, je l’attends.

Et, important, il s’installa en plein salon, guettant la bonne, comme s’il espérait une déclaration nouvelle ; mais elle se retira, le laissant seul.

Il y avait au mur un grand portrait de Creveau, qui semblait le dévisager, ne le quittait pas, le fouillait du regard. Le peintre avait saisi cette moue de dégoût, si typique chez le bonhomme, et l’immobilité l’accentuait ; portrait inquiétant ; Gandgoujon se tourna. Il n’y avait aucun bruit dans la maison, aucun roulement dans la rue. Grandgoujon réfléchit ; Grandgoujon se calma, se lassa, bâilla… Certains de ses effets trop préparés lui parurent inutiles, et il était en train de se dire : « Bah ! il vaut mieux être bref… bref et net », lorsque Creveau, en trombe, rentra.

Ce fut foudroyant ! Grandgoujon n’eut pas le temps même de le voir, de se lever, d’émettre une syllabe ; Creveau avait fait irruption dans la pièce,