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GRANDGOUJON

que, moi, j’en parle dans quinze jours. Car c’est dans quinze jours, ma grosse affaire : J’ai choisi mon titre : Qui vive ! France ! Vous plaît-il ? Dès maintenant je suis sûr d’une assemblée considérable. Toutes les œuvres de charité sur l’estrade ; un ministre, la Garde, des chœurs, enfin grosse, grosse machine !…

Il n’y avait, en vérité, que Madame Grandgoujon capable de le comprendre. Son fils suivait son idée fixe, laquelle était plus adultère que patriotique, et Madame des Sablons, qui avait rapproché sa chaise, répondait à son récit un peu somnambule, par de vives interjections mondaines sans rapport avec ce qu’il racontait. Ce fut donc Madame Grandgoujon qui fournit à Monsieur Punais des détails sur la terrible vie du front.

— Monsieur, permettez-moi d’aller chercher ses chaussures.

Elle les apporta. Monsieur Punais se leva et les prit.

— Voilà ! La voilà la sainte misère des tranchées ! Voilà ce qu’il faudrait montrer à mon public, faire passer dans les rangs !

— Et Poulot, Monsieur, reprit Madame Grandgoujon, ne sait pas comment il vit. Il me disait : « Maman, tu vas peut-être retrouver des obus dans mes poches !… »

— Oh !… Oh ! s’écria Monsieur Punais, quel mot sublime ! Madame, me le donnez-vous ? Puis-je m’en servir ?

Il se jeta sur Grandgoujon et lui prit les mains :

— Ce mot mérite une citation !