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GRANDGOUJON

fumait une pipe puante, dans une cage goudronnée. C’était un long homme maigre. Il se jeta dehors, appela, donna l’ordre d’accrocher le wagon à une machine qui manœuvrait, puis, essoufflé :

— Vous partez pour Amiens. Là, on vous indiquera la Compagnie Z.

Amiens, allons bon ! Encore une ville où il tombait des bombes ! « Immonde Creveau ! » Et, plein de fiel, Grandgoujon regrimpa dans un autre train. Mais celui-là marcha. Diable ! Il filait même vite. Grandgoujon en conçut de l’inquiétude… Est-ce qu’un ordre était arrivé ? Peut-être une attaque ; alors, on l’envoyait… Par la porte de son wagon à bestiaux, il regardait défiler le paysage, guettant le détail tragique. Il retournait vers la guerre. Avec émotion il se souvint qu’il avait sur lui une médaille de piété et il pensa :

— Ils sont forts les imbéciles qui disent : « Il n’y a rien après… » Qu’est-ce que nous sommes ?…

Dans la soirée il arriva à Clermont, dans l’Oise. Ce nom ne lui fut pas agréable à découvrir sur la gare ; car Clermont, aussitôt, évoqua pour lui l’image d’une vieille tante de sa mère qui habitait là, veuve d’un général à réputation imbécile, et dont il ne parlait jamais sans dire : « En voilà une bique ! » Un homme d’équipe annonça que le train se garait jusqu’à minuit « rapport à des mouvements de troupes conséquents ».

— Bien, se dit Grandgoujon nerveux, je vais me balader, passer devant la case de la vieille et lui faire la nique !