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GRANDGOUJON

t’dit : non ! — à tout c’que tu fais on t’crie : gare ! — et qu’alors, l’filon c’est de piquer la muette, pis d’foutre son camp en douce !

— Mais… balbutia Grandgoujon, ce train qui part… n’est-ce pas le nôtre ?…

— Hein ?… Quoi ?… Ah !… Ah ! Cré bon Dieu !

C’était lui. Il fallut courir, sauter, faire de l’acrobatie sur les voies.

— Dis donc ! Ça, dis donc ! Non, mais dis donc ! répéta Chabrelot, pendant un quart d’heure, dans le fourgon qui les emportait.

Adieu le Lapin blanc ! Alors, important, il se préoccupa de la descente à Nancy :

— À l’arrivée, ils vont marquer la date su nos feuilles ! Vie d’galère !

Durant quatre heures de route, il maugréa ; puis, comme le train s’enfonçait sous le hall de Nancy, il fut éclairé d’une idée lumineuse. Il saisit sac et couverture, et cria à Grandgoujon, en sautant à contre-voie :

— Poteau, on va s’f… dans les cabinets !

Ah !… non ! Cette fois, Grandgoujon protesta. Lui qui suivait toujours, il était trop las du voyage, qui avait duré un jour et une nuit. Doucement, mais avec fermeté, il dit : « Pas dans toutes les gares ! » Alors, Chabrelot, autoritaire, devenant pourpre, l’accabla de noms hideux, puis de « crâneur » et de « chameau », et, seul enfin, se dirigea vers l’édicule sauveur.

Grandgoujon était aux aguets. Tout l’après-midi, le train avait traversé une contrée où flot-