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GRANDGOUJON

troublée parce qu’elle se sentait rougir, ne prononçait pas des paroles exactement voulues.

— Non, jamais, minauda Moquerard.

Et maintenant, oubliant de boiter, il parcourait le « studio » de Monsieur Punais, marquant le tapis des clous de ses bottes, et disant :

— J’aime ces bibelots pour Monsieur, choisis par Madame. Nous, nous ne savons pas choisir les bibelots. Ceci est admirable : on voit côte à côte un éléphant, une soupière, un éventail et un boudha ! Mon ordonnance, qui s’appelait Fesse en bois, aurait remarqué, notez bien, que cette association est agréablement maboulesque…

— Dites donc ! fit Madame des Sablons, sur un ton qui rappelait celui de Nini.

— Maboulesque, donc réussie, reprit Moquerard, car c’est un défi aux professeurs de môrale et aux bourgeois raisonnâbles ! Moi, chère Madame, j’avais un oncle complètement absurde, qui était raisonnâble. C’était un ingénieur : que Dieu ait son âme ! Il vivait avec des chiffres, cet homme. En se levant, au lieu de se débarbouiller, il faisait une équation, et il y trouvait le programme de sa journée. Seulement, il a compté sans l’imprévu. Un jour, il a pris le train pour Marseille à sept heures quarante-cinq : c’était prévu. Il a mangé au wagon-restaurant : toujours prévu. Mais à midi trois quarts, le train a déraillé : il a avalé sa fourchette et il en est mort, ce qui n’était pas prévu. Comme neveu, je l’ai enterré dignement : c’était plus folâtre que de vivre avec lui ; mais, en principe, j’ai horreur