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GRANDGOUJON

En cinq minutes ils arrivèrent, et tandis qu’ils montaient l’escalier :

— Je m’arrête une seconde chez moi, dit Grandgoujon.

— Au fait, comment vis-tu ? Seul ? Avec un harem ?

— Avec ma mère, une sainte femme.

— Ah ! Les mères, dit Moquerard, affectant une dignité soudaine, c’est sacré !

Grandgoujon ouvrit sa porte : Madame Grandgoujon rôdait dans l’antichambre ; elle se trouva donc nez à nez avec Moquerard qui s’inclina, salua, lui parut effrayant par son teint, sa barbe et ses yeux pleins d’éclairs, mais qui, tout de suite, eut pour elle, en comédien savant, des paroles douceâtres :

— Madame, je disais à l’instant : il n’y a que deux sortes de femmes : les mères… et les autres. Les autres ne comptent pas. Moi aussi, j’ai une mère…

Puis, Madame Grandgoujon s’étant inquiétée de sa blessure, il prit un air sauvage :

— C’est un officier boche qui m’a tiré une balle à cinq mètres : « Pan !… » J’ai sauté sur un fusil pour lui en tirer deux : « Pan ! Pan ! » en appuyant le canon sur son ventre… Et il a explosé !

Il fit un mielleux sourire :

— … À cent mètres on a retrouvé des bouts.

Puis il se tut, et Grandgoujon murmura :

— Quelle boucherie !