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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

Le vent tombait. Le ciel était devenu d’une légèreté de rêve. Fontvieille avait pâli ; les moulins se doraient. Les oliviers étaient beaux le long de la route ; et nous songions comme Mistral : « Que d’oliveuses il doit falloir pour cueillir les olives de tant d’arbres ! » Puis, nous nous retournions, pour voir encore le Castelet, rose sur son rocher.

Antoine me dit :

— Sentez-vous ?… L’odeur du Rhône !

Ah ! le Rhône ! le Vent ! C’est vrai qu’avec ces deux forces magiques on pouvait oublier les misères de tant d’êtres falots dont se composent toutes les troupes en voyage. Ils sont de cette race innombrable d’humains que la Destinée n’a pas assez marqués, que rien ne guide en somme, et qui s’en vont sur le chemin de la vie, attirés ou poussés par n’importe quoi. Ils passent leur existence dans des voitures ou dans des trains ; les paysages défilent : ils sont indifférents. Et leur cervelle, secouée de la même façon que leur corps,