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CHAPITRE VII.

Bien des fois elle avait accompagné sa maîtresse lorsque celle-ci allait visiter des parents au village de T…, sur l’Ohio, et elle en savait le chemin. Y aller, traverser le fleuve, là s’arrêtaient ses plans ; après, elle s’en remettait à Dieu.

Quand les chevaux et les voitures commencèrent à circuler, elle sentit, avec cette rapide perception qui appartient aux situations violentes, que sa marche précipitée, son air éperdu, allaient provoquer des remarques, éveiller des soupçons. Elle remit l’enfant par terre, rajusta ses vêtements, sa coiffure, et marcha aussi vite que le permettait la prudence. Dans son petit paquet se trouvaient quelques gâteaux, quelques pommes, dont elle se servit pour hâter la course du petit garçon. Elle faisait rouler le fruit un peu loin devant lui ; il courait après, et à l’aide de cette manœuvre, elle put gagner encore plus d’une demi-lieue.

Ils arrivèrent enfin près d’un petit enclos boisé, où murmurait un ruisseau limpide. L’enfant se plaignait de faim et de soif ; elle franchit la haie avec lui, et tapie derrière un rocher qui les défendait de l’œil des passants, elle tira le déjeuner de son mince paquet. Henri se chagrinait de ce que mère ne pouvait manger ; les bras passés à son cou, il s’efforçait de lui glisser dans la bouche quelques bribes de gâteau. Mais il semblait à la pauvre femme que le moindre morceau allait la suffoquer.

« Non, Henri, non, mon trésor ! maman ne mangera pas que tu ne sois sauvé. Il faut aller, — aller ! — gagner la rivière ! » Et, reprenant aussitôt la route, elle s’efforça de ne pas marcher trop vite.

Elle avait dépassé depuis longtemps le voisinage immédiat de l’habitation, et, dût-elle faire quelques fâcheuses rencontres, la bonté de la famille à laquelle elle appartenait était trop généralement connue pour qu’on la soupçonnât de fuir. D’ailleurs, elle ne gardait presqu’au-