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de son sein les amères pensées. — Était-ce donc en vain qu’il servait Dieu, que Dieu l’abandonnait ainsi ! — Quelquefois il rencontrait Cassy ; plus rarement, appelé à la maison, il apercevait à la dérobée la figure mélancolique d’Emmeline ; mais il n’avait de communications ni avec l’une ni avec l’autre ; et, vraiment, le temps manquait pour converser avec n’importe qui.

Un soir, tout anéanti, il s’était accroupi près des brandons à demi éteints, devant lesquels cuisait sa misérable pitance. Il jeta deux ou trois broutilles sur la braise, essuya d’exciter un peu de flamme, et ouvrit sa Bible. Là se trouvaient marqués tant et tant de passages, qui si souvent avaient pénétré son âme, — paroles des patriarches et des voyants, des poètes, des sages, qui, depuis le commencement des siècles, ont enseigné le courage à l’homme : voix résonnant du sein de cette immense nuée de témoins, qui nous environnent durant les luttes de la vie. La Parole avait-elle donc perdu de sa force ? ses yeux défaillants, ses sens émoussés, ne répondaient-ils plus à l’appel de cette inspiration puissante ? Avec un profond soupir, il remit le livre dans sa poche. Un brutal éclat de rire le fit tressaillir. Il releva la tête. — Legris était debout en face de lui.

« Eh bien, vieux nèg’, dit le maître, tu trouves que ta religion fonctionne mal, à ce qu’il paraît ! Je me doutais que je ferais entrer quelque bon sens dans ta caboche, au travers de ta laine, à la fin ! »

Le cruel sarcasme était pis que la faim, le froid, le dénûment : Tom se tut.

« Tu es un sot, car je te voulais du bien quand je t’ai acheté, poursuivit Legris. Il ne tenait qu’à toi d’être plus heureux que Sambo ou Quimbo, tous deux ensemble. Au lieu de te faire rosser, étriller, de deux jours l’un, tu aurais levé la tête parmi tes pareils, et rondiné à ton tour les autres nèg’s ! De temps en temps on t’aurait ragaillardi le cœur avec une bonne rasade de chaud