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aller tenter la fortune sur l’Océan. Depuis, il n’était revenu qu’une fois au logis. Elle, avec l’élan passionné d’un cœur qui a besoin d’aimer, et qui n’a rien autre à aimer, se cramponna à lui, le supplia avec d’ardentes prières, pour le bien éternel de son âme, de rompre avec sa vie de péché.

Ce fut le jour de grâce accordé à Legris. Les anges le sollicitèrent ; il fut presque gagné ; la miséricorde divine lui tendait la main. Son cœur s’amollit — il y eut lutte — le péché l’emporta. Il opposa l’énergie de son âpre et mauvaise nature aux convictions de sa conscience. Il but, il jura, il devint plus féroce, plus brutal que jamais. Un soir que sa mère, dans l’agonie du désespoir, s’était jetée à ses genoux, il la repoussa rudement ; elle tomba sans connaissance sur le parquet, et il s’enfuit, avec de sauvages imprécations, rejoindre son vaisseau. Legris n’entendit plus parler de sa mère qu’une fois. C’était la nuit, il s’enivrait avec ses compagnons de débauche ; on lui remit une lettre, il l’ouvrit : une longue mèche de cheveux se déroula, s’enlaça autour de ses doigts. La lettre lui annonçait la mort de sa mère : mourante, elle l’avait béni et lui avait pardonné.

Il y a dans le mal une puissance magique et impie, qui change en fantômes d’horreur et d’effroi les plus saintes, les plus douces choses. Cette mère aimante, au pâle visage, — ces prières, — ce pardon plein d’amour, envoyé de son lit de mort, — ne furent pour ce cœur endurci par le péché qu’une sentence de damnation, effrayant avant-coureur du jugement de Dieu et de l’irrévocable châtiment. Legris brûla la lettre, brûla les cheveux, et quand il les vit se tordre et siffler dans les flammes, il frissonna en pensant aux feux éternels. Il but, il festoya, il s’efforça de conjurer ce souvenir ; mais souvent, au profond de la nuit, dont le calme solennel cite l’âme devant son propre tribunal, il avait vu cette pâle figure se dresser à ses côtés ; il avait senti, autour de ses doigts, les enlacements