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« Ô Jésus ! Seigneur Jésus ! avez-vous tout à fait délaissé vos pauvres créatures ? s’écria-t-il. À l’aide, Seigneur, je succombe ! »

La femme continua d’une voix dure.

« Et que sont les misérables chiens couchants, vos compagnons de labeur ? méritent-ils que vous souffriez pour eux ? Pas un qui, pour le plus petit lucre, ne se tournât contre vous ! Ils sont tous, l’un envers l’autre, ingrats, cruels, dénaturés. Pourquoi vous faire martyriser à leur profit ?

— Pauvres gens ! dit Tom ; qui les a rendus méchants ? Si je cède une fois je m’y ferai, et petit à petit je deviendrai endurci comme eux ! Non ! non, maîtresse ! J’ai tout perdu, — femme, enfants, case, et bon maître, qui m’aurait fait libre s’il eût vécu une semaine de plus. J’ai tout perdu en ce monde, à jamais et pour toujours : maintenant je peux pas perdre le ciel aussi ! Non, je ne veux pas devenir méchant !

— Mais le Seigneur ne peut nous l’imputer à crime, dit la femme. N’a-t-on pas forcé notre volonté ? Il en demandera compte à nos persécuteurs !

— Oui, dit Tom ; mais ça ne nous empêchera pas d’être devenus cruels. Si jamais je venais à être aussi sans cœur, aussi dur que Sambo, la façon dont j’y serais arrivé ne ferait pas grande différence ; c’est d’être mauvais, — c’est ça qui me fait peur. »

La femme attacha sur Tom ses yeux hagards et sombres, comme si une pensée nouvelle la frappait ; elle poussa un sourd gémissement et s’écria :

« Ô miséricorde ! vous dites vrai ! Oh ! oh ! oh ! » Et elle tomba sur le plancher, avec des sanglots comme une personne écrasée, se tordant sous l’excès des souffrances morales.

Il y eut un silence pendant lequel leurs souffles s’entendaient, puis Tom dit faiblement :

« Oh ! s’il vous plaît, maîtresse ? »