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le sait mieux que personne. Il sent que, pour un maître bienveillant, affectueux, il s’en trouve dix cruels et tyranniques ; aussi le deuil d’un bon maître est-il long et profond pour les pauvres abandonnés qu’il laisse derrière lui.

Saint-Clair avait à peine rendu le dernier soupir que la terreur et la consternation s’emparaient de tous. Il avait été foudroyé dans la force et la fleur de sa jeunesse : les salons, les galeries, la maison tout entière retentissaient de sanglots, de cris de désespoir.

Marie, énervée par l’habitude constante de s’écouter, restait terrassée sous le choc, et s’évanouissait de minute en minute durant l’agonie de son mari : celui auquel l’unissait le lien mystérieux et sacré du mariage la quitta pour jamais sans un mot d’adieu.

Miss Ophélia, douée d’une énergie et d’une force de volonté peu communes, resta jusqu’à la fin près de Saint-Clair, tout yeux, tout oreilles, tout attention, faisant le peu qui se pouvait faire, et se joignant de toute son âme aux tendres et ferventes prières du pauvre esclave pour l’âme de son maître mourant.

Lorsqu’ils lui rendirent les derniers devoirs, ils trouvèrent sur son sein un petit médaillon à ressort. Il renfermait un portrait de femme, — un noble et beau visage, — et sur le revers, une mèche de cheveux noirs. Ils remirent sur la poitrine inerte, — cendres sur cendres, — ces tristes reliques d’un passé qui jadis avait fait battre si vite ce cœur immobile.

L’âme de Tom était tout entière aux pensées de l’éternité ; et devant cette froide dépouille, il ne songea pas une seule fois que ce coup imprévu scellait à jamais son esclavage. Il était tranquille sur son maître ; car, à l’heure solennelle où il épanchait sa prière dans le sein du Père céleste, il avait senti descendre en lui une quiétude parfaite, et comme l’assurance qu’il était exaucé. La profondeur de ses affections lui faisait pressentir la plénitude