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Sans cesse vous m’arrêtez court devant la minute actuelle ; vous avez une sorte d’éternel présent, toujours présent à l’esprit.

— Le présent est le seul temps avec lequel j’aie rien à démêler, reprit miss Ophélia.

— Chère petite Éva, pauvre enfant ! dit Saint-Clair ; elle m’avait trouvé, dans la simplicité de son âme, une grande œuvre à faire. »

C’était la première fois, depuis la mort d’Éva, qu’il en parlait un peu longuement. Il s’efforça de se dominer, et poursuivit : « D’après mes vues sur le christianisme, je ne crois pas qu’un homme puisse se dire chrétien, et ne pas protester énergiquement contre le système monstrueux d’injustice qui fait la base de notre société, dût-il mourir à la peine. Moi, du moins, je ne pourrais être chrétien qu’à ce prix ; non que je n’aie rencontré bon nombre de gens, éclairés et pieux, qui ne songeaient à rien de semblable. Je le confesse, l’apathie des gens religieux sur ce point, leur aveuglement sur des atrocités qui me remplissent d’horreur, ont surtout contribué à me rendre sceptique.

— Avec de tels sentiments, pourquoi ne rien faire ? dit miss Ophélia.

— Oh ! parce que je n’avais que la bienveillance qui consiste à s’étendre sur un sofa, et à y maudire l’Église et le clergé de n’être pas une armée de martyrs et de confesseurs. Rien de plus simple, comme vous savez, que d’indiquer aux autres la voie du martyre.

— Eh bien ! agirez-vous différemment désormais ? demanda miss Ophélia.

— Dieu seul sait l’avenir, répliqua Saint-Clair. Je suis plus brave que je ne l’étais, parce que j’ai tout perdu ; et celui qui n’a rien à perdre peut tout risquer.

— Qu’allez-vous faire ?

— Mon devoir, j’espère, envers les pauvres et les humbles, à commencer par mes propres domestiques,