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— C’est vrai, et voilà pourquoi je hais du fond de l’âme l’esclavage et tout ce qui en résulte. Je vous le répète, mon ami, je ne saurais m’absoudre des promesses que j’ai faites à ces pauvres créatures. Si je ne puis me procurer l’argent d’aucune autre façon, je donnerai des leçons de musique ; je sais que j’aurais aisément assez d’écoliers pour gagner à moi seule la somme nécessaire.

— Vous ne vous dégraderiez pas à ce point, Émilie ! Jamais je n’y consentirai.

— Me dégrader ! — ne serait-il pas mille fois plus dégradant de manquer de parole à de pauvres abandonnés ?

— À merveille ! vous êtes toujours héroïque ; vous planez dans les nues ! reprit monsieur Shelby ; mais, avant de vous lancer dans ce don quichottisme, vous ferez bien d’y réfléchir. »

Ici la conversation fut interrompue par l’apparition de tante Chloé, au bout de la véranda.

« Maîtresse, vouloir venir une minute ?

— Quoi, Chloé ? qu’y a-t-il ? dit madame Shelby se levant, et allant au balcon.

— Si maîtresse voulait regarder un brin ce lot de volage ? » Chloé avait la fantaisie d’appeler la volaille volage ; elle y persistait malgré les fréquents avis des jeunes membres de la famille.

« Seigneur bon Dieu ! disait-elle, je vois pas la différence. Volaille ou volage être juste la même chose ; avoir des plumes et voler, et être bon à manger ; voilà ! » Et elle se confirmait ainsi dans son erreur.

Madame Shelby sourit à la vue de poulets et de canards gisant à terre en un tas, que Chloé contemplait d’un air méditatif.

« Peut-êt’, maîtresse, aimerait bien en avoir un ou deux en pâté ?

— En vérité, tante Chloé, cela m’est à peu près égal : accommode-les comme tu voudras. »