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de nouveau sur pied. Puis, en temps voulu, je fis dresser son acte d’affranchissement, et lui déclarai qu’il pouvait aller où bon lui semblerait.

— S’en alla-t-il ? dit miss Ophélia.

— Non. Le pauvre niais déchira le papier en deux, et refusa absolument de me quitter. Je n’ai jamais eu un plus brave et meilleur garçon — fidèle et franc comme l’acier. Il embrassa plus tard le christianisme, et devint doux comme un enfant. Je lui avais confié la surveillance de mon habitation sur le lac ; il s’en acquittait admirablement. Je le perdis à la première invasion du cholera. De fait, il donna sa vie pour moi. J’étais à la mort, et lorsque, cédant à une terreur panique, tout le monde fuyait, Scipion resta, et s’escrima sur moi comme un géant, si bien qu’il me ramena de fort loin. Mais, pauvre garçon ! il fut pris à son tour, et il n’y eut pas moyen de le sauver. Jamais perte ne m’a été plus amère. »

Pendant ce récit, Éva s’était peu à peu rapprochée de son père ; les lèvres entr’ouvertes, les prunelles dilatées, elle l’écoutait avec un intérêt passionné.

Quand il eut fini, elle jeta ses deux bras autour de son cou, fondit en larmes et sanglota convulsivement.

« Éva, chère fille ! qu’as-tu ? qu’y a-t-il ? dit Saint-Clair, comme le petit corps de l’enfant tremblait de la violence de ses émotions. Il ne faut pas, ajouta-t-il, qu’elle écoute ces sortes d’histoires. Elle est trop nerveuse.

— Non, papa, je ne suis pas nerveuse, dit Éva, se dominant tout à coup, avec une force de résolution peu commune à cet âge. Je ne suis pas nerveuse, mais ces choses-là m’entrent dans le cœur.

— Que veux-tu dire, Éva ?

— Je ne sais pas l’expliquer, papa. Je pense beaucoup, beaucoup de choses ! Je vous les dirai peut-être un jour.

— Eh bien, pense tant que tu voudras, ma chérie, —