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miss Ophélia, mais je n’en conclus pas que vous soyez tous des barbares.

— Quant à moi, reprit Marie, je sais qu’il est impossible de venir à bout de quelques-unes de ces créatures. Elles sont si mauvaises qu’elles ne méritent pas de vivre. Je n’ai pas l’ombre de sympathie pour des malheurs de ce genre. Cela ne leur arriverait pas, si elles voulaient se bien conduire.

— Mais, maman, dit Éva, la pauvre femme était trop malheureuse : c’est ce qui la poussait à boire.

— Sottises ! Bah ! comme si c’était là une excuse ! Est-ce que je ne suis pas malheureuse, moi, bien souvent ! Certes, dit-elle d’un air pensif, j’ai eu de plus rudes épreuves qu’elle n’en a jamais eues ! C’est de la méchanceté toute pure. Il y a de ces gens-là qu’on ne peut rompre par aucune espèce de sévérité. Je me rappelle que mon père avait un nègre si paresseux, qu’il s’enfuyait, rien que pour échapper au travail : il couchait dans les marais, volait, et faisait toutes sortes de choses horribles. Il fut rattrapé et fouetté, je ne sais combien de fois, et ne s’en amenda pas davantage. Après la dernière correction, quoiqu’il put à peine marcher, il se traîna jusqu’au marais et y mourut. Il n’y avait pour cela aucun motif, car les nègres de mon père étaient toujours humainement traités.

— Une fois, dit Saint-Clair, j’ai rompu un homme sur lequel tous les surveillants et contre-maîtres s’étaient essayés en vain.

— Vous ! se récria Marie, je serais charmée de savoir quand vous avez jamais fait pareil exploit.

— Je vais vous le dire. C’était un géant d’une force prodigieuse, Africain de naissance, et qui avait au suprême degré l’instinct sauvage de la liberté. Un véritable lion d’Afrique ! On le nommait Scipion. Personne n’en pouvait rien faire. Il fut vendu et revendu, passa de surveillant en surveillant, jusqu’à ce qu’enfin Alfred