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se cuirasser le cœur ? Je ne peux pas acheter chaque pauvre misérable que je rencontre. Je ne puis pas m’ériger en chevalier errant, et entreprendre de redresser chaque tort individuel dans une ville comme celle-ci. Tout ce que je puis, c’est de m’en tenir à l’écart. »

La belle figure de Saint-Clair s’assombrit un moment, il prit l’air soucieux ; mais, évoquant presque aussitôt un gai sourire, il dit :

« Allons, cousine, ne restez pas là debout comme une des inflexibles parques. — Vous n’avez fait qu’appliquer votre œil au trou du rideau, qu’entrevoir ce qui se passe, sous une forme ou sous l’autre, dans le monde entier. Si nous voulions sonder toutes les lugubres profondeurs de la vie, nous n’aurions plus le cœur à rien. Je vous l’ai déjà dit, c’est aussi périlleux que d’examiner de trop près les mystères de la cuisine de Dinah. » Saint-Clair se rejeta en arrière sur le sofa, et se replongea dans son journal.

Miss Ophélia s’assit, tira son ouvrage, et se mit à tricoter avec la verve de l’indignation : elle se taisait ; mais le feu couvait au dedans ; enfin, il éclata :

« Je vous dis, Augustin, que si vous pouvez prendre votre parti de semblables choses, moi, je ne le puis. C’est abominable à vous de défendre un pareil système ! — voilà mon avis.

— Quoi ? dit Saint-Clair en levant les yeux. Encore !…

— Je répète que c’est tout à fait abominable à vous de défendre un tel système ! s’écria miss Ophélia avec une chaleur croissante.

Moi, le défendre ! qui a jamais dit que je le défendais ?

— Certainement, vous le défendez, — vous tous, — vous autres gens du Sud ! sinon pourquoi auriez-vous des esclaves ?

— Êtes-vous assez innocente, ma chère cousine, pour