Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

selon ; alors tout se fait tranquillement — c’est fini quand elle revient. Votre femme pourrait lui donner une paire de pendants d’oreilles, une robe neuve, ou quelque autre bagatelle, pour l’indemniser.

— Je craindrais que cela ne suffit pas.

— Oh ! que si, Dieu vous bénisse ! Ces créatures-là ne sont pas comme les blanches, voyez-vous : elles passent vite là-dessus, pour peu qu’on sache s’y prendre. Il y en a qui prétendent, ajouta le marchand d’un air candide et confidentiel, que notre genre de commerce endurcit le cœur. Eh bien, je ne m’en suis jamais aperçu. Il est vrai que je n’opère pas comme certaines gens. J’en ai vu arracher l’enfant des bras de la mère, et le mettre en vente, la femme criant tout le temps comme une folle. — C’est une détestable méthode ! — l’article s’endommage, et devient quelquefois tout à fait impropre au service. J’ai connu, à Orléans[1], une superbe fille que ce procédé a complètement perdue. L’homme qui la marchandait ne voulait pas de son marmot. C’était une de ces femmes de race, qui ne sont pas commodes quand le sang leur monte à la tête. Elle serrait l’enfant dans ses bras, elle s’y cramponnait ; elle parlait !… C’était terrible à voir et à entendre ! Rien que d’y songer, mon sang se fige ! Quand, après lui avoir enlevé l’enfant de force, ils l’enfermèrent, elle tourna folle furieuse, et mourut au bout d’une semaine. Un déficit net de mille dollars, monsieur ! et cela faute de s’y bien prendre. Il vaut toujours mieux faire les choses humainement : c’est mon principe. »

Le marchand se renversa sur sa chaise, et croisa les bras d’un air de vertueux contentement, se croyant pour le moins un second Wilberforce.

Il semblait avoir ce sujet fort à cœur ; car tandis que M. Shelby, tout pensif, pelait une orange, il reprit avec

  1. Il s’agit toujours de la Nouvelle-Orléans, dont on abrège ainsi le nom.