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et je croyais qu’on me le laisserait, puisque le maître n’en trafiquait pas. C’était ben la plus gentille petite créature ! Maîtresse en était comme affolée d’abord. Jamais ça ne pleurait ! — Si dodu, si vivace ! — Mais maîtresse tomba malade ; moi, je la veillais. Je gagnai la fièvre ; mon lait passa et l’enfant dépérit, vu que maîtresse ne voulait pas lui faire acheter du lait. J’avais beau dire qu’il ne m’en restait pas une goutte ; elle ne m’écoutait pas ! ou elle disait que je pouvais ben nourrir l’enfant avec ce que tout le monde mangeait ; et le pauv’ petit agneau devenait maigre à faire peur ! Il n’avait pas que la peau et les os ! il ne jetait qu’un cri de nuit comme de jour. Ça ennuya maîtresse qui se fâcha : elle dit que je le gâtais, qu’elle voudrait le voir crevé ! Elle me défendit de le garder à côté de moi, parce qu’il me tenait réveillée, et que je n’étais pas bonne à rien le lendemain. Elle me fit coucher dans sa chambre ; il me fallut porter mon pauv’ petit dans un grenier, où il pleura et cria toute la nuit à mort ! — Et il mourut. Je me suis mise à boire pour chasser son cri de mes oreilles. J’ai bu — et je boirai ! quand même ça me mènerait droit en enfer ! le maître dit que j’irai en enfer ! moi, je dis que j’y suis déjà !

— Oh ! pauvre chère créature ! penser que personne ne vous a jamais dit que le Seigneur Jésus vous aime, qu’il est mort pour vous ! On ne vous a pas dit qu’il viendrait à votre aide, que vous pourriez aller au ciel et vous y reposer à la fin ?

— Moi ! que j’aie la chance d’aller au ciel ! dit la femme ; est-ce pas là que vont les blancs ? supposons qu’ils me rattrapent encore là-haut ? j’aime mieux aller en enfer et en avoir fini des maîtres et des maîtresses ! oui, je l’aime mieux ! » dit-elle ; et, rechargeant son panier sur sa tête avec son gémissement habituel, elle s’éloigna.

Tom reprit tristement le chemin du logis. Dans la cour il rencontra la petite Éva, une guirlande de tubéreuses sur la tête, et les yeux rayonnants de joie.