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— C’est bien de lui ! vous n’en tirerez rien ; il vous échappera toujours, dit Marie ; et je crois, ma parole, que c’est son peu de religion qui lui fait prendre tous ces faux fuyants.

— Religion ! dit Saint-Clair d’un ton qui fit lever les yeux aux deux dames. Appelez-vous religion ce qu’on vous prêche à l’église ? Appelez-vous religion ce qui peut se courber, se tourner, descendre, monter, pour justifier chaque phase tordue d’une société égoïste et mondaine ? Est-ce la religion qui est moins généreuse, moins juste, moins scrupuleuse, moins tolérante, que ma nature profane, aveugle et terre à terre ? Non ; si je cherchais une religion, je regarderais au-dessus de moi, jamais au-dessous.

— Vous ne croyez donc pas que la Bible justifie l’esclavage ? demanda miss Ophélia.

— La Bible était le livre de ma mère, répondit Saint- Clair ; il l’aidait à vivre ; il l’a aidée à mourir : Dieu me préserve de croire qu’il justifie l’esclavage ! J’aimerais autant qu’on voulût me prouver que ma mère buvait de l’eau-de-vie, mâchait du tabac et jurait, pour me convaincre que j’ai raison d’en faire autant. Je n’en serais pas plus content de moi-même, et j’y perdrais la consolation de la respecter. Et c’est une grande consolation en ce monde que d’avoir quelque chose à respecter ! Bref, vous le voyez, dit-il en reprenant tout d’un coup sa gaieté ; tout ce que je veux, c’est que chaque chose reste à sa place, en son casier. Le cadre de la société en Europe, comme en Amérique, se compose d’une infinité d’éléments qui ne soutiendraient pas l’examen d’une moralité scrupuleuse ; ce qui prouve que les hommes ne peuvent aspirer au bien absolu, mais seulement suivre de leur mieux la route battue. Maintenant si un homme vient me dire : « L’esclavage nous est nécessaire, nous ne pouvons vivre sans lui ; si nous l’abolissons, nous sommes réduits à la mendicité, et nous prétendons