Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un beau visage, de deux brillants yeux noirs, d’une dot de cent mille dollars, et fut réputé le plus heureux des mortels.

Le couple fortuné savourait sa lune de miel, en faisant à de nombreux amis les honneurs d’une splendide villa, située sur les bords du lac Pontchartrain. Augustin, au milieu d’une réunion brillante, plaisantait gaiement avec ses convives, lorsqu’on lui remit une lettre, d’une écriture trop connue. Il pâlit, mais sut se contenir, et continua la conversation. Dès qu’il le put il s’éclipsa, et alla seul, dans sa chambre, ouvrir le fatal écrit ; heureux s’il ne l’eût jamais pu lire ! C’était d’elle ; c’était le récit des longues persécutions auxquelles elle avait su résister. La famille de son tuteur voulait la contraindre à l’épouser et interceptait les lettres d’Augustin. Elle avait écrit, écrit encore, succombant presque à la douleur et au doute ; sa santé fléchissait sous le poids des anxiétés ; mais, parvenue enfin à découvrir la fraude dont ils étaient victimes, elle venait lui prodiguer les assurances d’une confiance sans bornes, et de l’inaltérable affection qui faisait maintenant le désespoir d’Augustin. Il répondit immédiatement :

« Votre lettre arrive trop tard — j’ai cru tout ce que l’on m’écrivait ; — dans mon désespoir, je me suis marié. — C’en est fait ! Oubliez, oubliez ! l’oubli est notre dernier refuge. »

Ainsi finirent pour Augustin le romanesque et l’idéal de la vie. La réalité resta ; — la réalité semblable au lit vaseux que laisse la marée, lorsque les vagues étincelantes et bleues se sont retirées, avec leur couronne de blanches voiles, et leur harmonieuse musique d’eaux jaillissant sous le battement régulier des rames, — quand il ne reste plus qu’une fange limoneuse, plate, gluante, nue, — la réalité enfin !

Dans un roman les cœurs se brisent, les gens meurent, c’est chose terminée. Il n’en est pas ainsi de la vie réelle :