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asthmatique ou nerveuse, avait contracté l’habitude de geindre ; en sorte qu’elle accompagnait chaque mouvement de va et vient d’une plainte dolente, qui eut été intolérable de la part de tout autre siège. Mais le vieux Siméon Halliday déclarait aimer cette musique, et ne s’en pouvoir passer. Les enfants, aussi, n’eussent voulu pour rien au monde que la berceuse de la mère cessât de crier. Pourquoi ? Parce que, depuis vingt ans et plus, ce bruit se mêlait aux affectueuses paroles, aux douces remontrances, aux caresses maternelles. Que de maux de tête, que de peines de cœur, s’étaient assoupis à ce son ! Que de questions, spirituelles et temporelles, avaient été résolues autour de ce fauteuil ! que de chagrins apaisés ! et tout cela par une bonne et tendre femme : Dieu la bénisse !

« Ainsi tu persistes à vouloir aller au Canada, Éliza[1] ? dit Rachel en continuant le triage de ses fruits.

— Oui, madame, reprit Éliza d’une voix ferme : il faut que j’aille plus avant ; je n’ose m’arrêter.

— Et que feras-tu une fois là-bas ? il est sage d’y penser, ma fille. »

Ce mot, « ma fille, » venait tout naturellement sur les lèvres de Rachel ; le nom sacré de « mère » semblait si bien fait pour elle. Les mains d’Éliza tremblèrent, et quelques larmes tombèrent sur son ouvrage.

— Je ferai… tout ce que je pourrai trouver à faire, et… j’espère trouver quelque chose.

— Tu sais qu’il ne tient qu’à toi de rester ici tant qu’il te plaira.

— Oh ! merci, mais… Éliza désigna du doigt le petit Henri, — je ne peux pas dormir en paix ; je ne puis prendre aucun repos : la nuit dernière encore j’ai rêvé que je voyais cet homme entrer dans la cour, dit-elle en frissonnant.

Rachel s’essuya les yeux : « Pauvre enfant ! ne t’alarme pas ainsi ! le Seigneur n’a pas permis qu’un seul fugitif

  1. Les quakers ou amis regardent tous les hommes comme frère, et tutoient même les étrangers.