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mais si muets ! Pas une parole, pas un accent de pitié, pas une main tendue de ce ciel lointain !

Les voix qui causaient d’affaires ou de plaisir, se turent l’une après l’autre. Tout dormait à bord, et l’on entendait bouillonner l’eau sous la proue. Tom s’étendit sur une caisse : de temps à autre un sanglot étouffé arrivait jusqu’à lui, un cri de la pauvre femme qui gisait prosternée. « Oh ! que ferai-je ?… Seigneur !… Seigneur, mon Dieu, ayez pitié !… secourez-moi ! » Ainsi, par intervalles, jusqu’à ce que le murmure s’éteignit peu à peu.

Vers le milieu de la nuit, Tom tressaillit et s’éveilla. Une ombre passait rapidement entre lui et le bord du bateau : il entendit rejaillir l’eau. Seul, il avait vu et entendu. Il leva la tête — la place qu’occupait la femme était vide ! Il se glissa par terre, et la chercha en vain. Le pauvre cœur saignant avait cessé de battre, et les eaux, qui venaient de se refermer au-dessus, ondulaient souriantes et lumineuses.

Patience ! patience ! vous dont l’indignation s’éveille à de tels maux. Pas une palpitation, pas une larme de l’opprimé n’est perdue pour l’Homme de Douleurs, pour le Seigneur en sa gloire. Dans son sein patient et généreux il porte les angoisses d’un monde. Comme lui, supportez avec patience et travaillez avec amour, car aussi sûr qu’il est Dieu, « le jour de la rédemption viendra. »

Haley se leva de bonne heure, et courut, alerte et dispos, visiter sa vivante marchandise. Ce fut à son tour de regarder partout avec inquiétude.

« Où diable s’est fourrée cette fille ? » demanda-t-il à Tom.

Celui-ci, que l’expérience avait rendu prudent, ne crut pas devoir lui faire part de ses remarques. Il dit qu’il l’ignorait.

« Impossible qu’elle se soit glissée dehors cette nuit, à