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du bien, et je tâcherai de t’avoir une bonne place à la Basse-Rivière. Tournée comme tu l’es, tu trouveras bien vite un autre mari…

— Ah, maître ! si vous vouliez seulement ne pas me parler… pas à présent ! » dit-elle. Il y avait dans l’accent une si poignante angoisse, que le marchand compris que ce n’était pas de son ressort. Il se leva. La femme se retourna et s’ensevelit la tête dans sa mante.

Haley, qui se promenait de long en large, s’arrêtait parfois à la regarder.

« Elle le prend diablement à cœur ! murmura-t-il : mais du moins elle se tient tranquille. Une bonne transpiration, et ça se passera. »

Tom avait assisté au marché, du commencement jusqu’à la fin, et il en avait prévu les conséquences. Pour lui, pauvre noir ignorant, qui n’avait pas appris à généraliser, à élargir ses vues, c’était quelque chose de révoltant, d’horrible ! Instruit par certains ministres de la chrétienté, il en eût mieux jugé, et n’y eût vu qu’un incident journalier d’un commerce légal. Mais, dans son ignorance, Tom, dont les lectures se bornaient à la Bible, n’avait pas de pareilles consolations. Son cœur saignait au dedans de lui, à la pensée des griefs de la pauvre chose souffrante, qui gisait là comme un roseau brisé : — chose douée de vie, de sentiment, d’immortalité, que la loi américaine classe froidement avec les caisses, ballots et autres colis.

Tom s’approcha, et essaya de lui dire quelques mots : elle gémit sourdement. Il lui parla, dans sa candeur, et les yeux noyés de larmes, du cœur de celui qui est tout amour, et qui habite dans les cieux, de Jésus, si plein de pitié pour tous, de la demeure éternelle où elle rejoindrait son enfant ; mais l’angoisse du désespoir fermait ses oreilles, et paralysait son cœur.

La nuit vint, — calme, glorieuse, impassible, avec ses milliers d’étoiles étincelantes, yeux angéliques, si beaux,