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L’étranger, qui n’était autre que l’honnête éleveur de bestiaux, avec lequel nous avons déjà fait connaissance dans la taverne du Kentucky, s’assit et se mit à fumer, tandis qu’un sourire narquois contractait sa longue et maigre figure.

Un jeune passager, d’une physionomie aimable et intelligente, intervint : « Ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi de même. » — Il me semble, ajoutait-il, que c’est là un passage de la sainte Écriture, tout aussi bien que « maudit soit Canaan. »

— Le texte en parait pour le moins aussi clair à des ignorants comme nous, » dit l’éleveur, en lançant des bouffées de fumée volcaniques.

Le jeune homme allait en dire plus, mais le bateau s’arrêta. Selon l’usage, tous les passagers se précipitèrent vers la proue, pour voir où l’on abordait.

« Ce sont deux façons de pasteurs, pas vrai ? » demanda l’éleveur à l’un des hommes qui débarquaient.

L’autre fit de la tête un signe affirmatif.

Au moment où les roues de la machine cessaient de battre l’eau, une négresse s’élança de la rive sur l’étroite planche, se fit jour à travers la foule, et gagnant l’entrepont, jeta ses deux bras autour de l’article infortuné, classé sous le titre de « John, âgé de trente ans. » Ses pleurs, ses sanglots le revendiquaient pour mari.

Mais qu’est-il besoin de redire l’histoire si souvent contée, — répétée chaque jour, — de liens brisés, de cœurs au désespoir, — du faible exploité par le fort ? Ne se renouvelle-t-elle pas sans cesse ? Ne crie-t-elle pas assez haut aux oreilles de celui qui entend, bien qu’il se taise ?

Le jeune homme, qui avait plaidé la cause de Dieu et de l’humanité, contemplait cette scène. Il se tourna vers Haley.

« Mon ami, dit-il d’une voix émue, comment pouvez-vous, comment osez-vous faire ce trafic impie ?… Regardez