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— Faut avoir confiance au Seigneur, tante Agar, reprit tristement le plus vieux de la troupe.

— À quoi sert ? dit-elle en sanglotant avec amertume.

— Mère ! mère ! ne te désole pas, s’écria l’enfant : ils disent que tu es tombée à un bon maître.

— Je n’ai souci qu’il soit bon ou méchant ! — tout m’est égal ! Oh, Albert ! mon garçon ! le dernier que j’ai nourri ! Seigneur bon Dieu ! comment ferai-je !…

— Allons, emmenez-la donc ! que quelqu’un l’emmène, dit Haley sèchement ; ça ne fait de bien ni à elle, ni aux autres de la laisser brailler sur ce ton ! » Les plus âgés des assistants parvinrent, moitié pur persuasion, moitié par force, à détacher la pauvre créature du fruit de ses entrailles, et la conduisirent au chariot de son nouveau maître, en s’efforçant de la consoler.

« À notre tour maintenant ! » dit Haley. Il rassembla ses trois emplettes, et tira de son surtout une provision de menottes, qu’il assujettit solidement autour de leurs poignets. Une longue chaîne, passée dans les anneaux, lui servit à les chasser devant lui jusqu’à la prison.

Peu de jours après, le marchand s’installait à bord d’un des bateaux de l’Ohio, avec ses propriétés, commencement de la cargaison de choix qu’il devait compléter, en recueillant, sur différents points de la rive, les marchandises que lui, ou ses agents, y tenaient en réserve.

La Belle-Rivière, l’un des plus beaux et des meilleurs bateaux qui aient jamais sillonné les eaux du même nom[1], descendait gaiement le courant, sous un ciel lumineux. Les étoiles et les bandes du pavillon de la libre Amérique se déployaient et flottaient dans l’air. De belles dames, de beaux messieurs, se promenaient et causaient sur le pont, jouissant d’une radieuse journée. Tous étaient pleins de vie, dispos, joyeux ; tous, excepté la troupe de Haley, qui, emmagasinée avec d’autre fret

  1. O-Hio, mot indien qui signifie belle eau, belle rivière.