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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

— Oui, moi qui te hais, moi qui t’ai joué, moi qui te brave ! Moi qui ai voulu, reprit Samuel à voix basse, acquérir ici même la preuve que la duchesse t’aimait, et qui, parce qu’elle t’aime, ai juré que l’un des deux mourrait en tombant pour cette femme !

— Ce sera donc toi, misérable, murmura Pompeo en tirant son glaive par un mouvement plus rapide que la pensée… En même temps il avait jeté son masque et montrait à tous son visage plein de fierté.

Mais la foule des spectateurs le retint, force lui fut de céder.

— Es-tu donc si oublieux, reprit froidement Samuel, qu’il ne te souvienne plus de ma puissance ? N’as-tu donc point obéi en esclave à cette voix ? Pompeo, tu peux voir d’ici la rue des Lions-Saint-Paul !

— Infâme !

— Oh ! je sais ce que tu vas dire, que ce n’est que par mes ordres… Je ne m’en défends pas, mes nobles seigneurs, continua Samuel ; j’appartiens au cardinal et je m’en fais gloire ! Mais Pompeo a aussi obéi à Son Éminence ; cet homme si loyal, cet amant si dévoué a bien voulu consentir, pour peu d’or…

— Tu mens, traître, tu mens ! interrompit Pompeo, se tordant avec rage entre les bras de ceux qui le retenaient ; tu dois savoir pour quel pacte…

— C’est du moins un pacte que j’ai tenu ; je t’avais promis de te livrer Samuel ; Pompeo, je te le livre !

L’ample capuchon de Samuel retomba, et les cordons de son masque, violemment arrachés par lui, laissèrent voir à tous sa hideuse figure. En l’apercevant, tous pensèrent qu’il y avait de quoi inventer la laideur, si elle n’eût point existé.

— Oui, je suis maudit, je représente Satan, n’est-ce pas ? demanda-t-il à Pompeo d’une voix sourde. Le médecin de Son Éminence ! ah ! ah ! ah ! continua Samuel avec un rire strident et glacé. Oui, je suis un être défiguré par le feu en attendant celui de l’enfer ! Il y a longtemps que tu n’avais