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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

méchantes planches, ayant à son plafond quelques misérables filets de pêche pour tout ornement. Sur une table boiteuse, le souper de maître Gérard était servi ; dans un coin de la cahute, on entrevoyait une sorte de créature humaine roulée près du feu. C’était un chien.

À l’approche de l’étranger, le chien se dressa sur ses jarrets vigoureux, et flaira la cape de l’Italien. Peu satisfait de son examen, il revint ensuite à sa place devant le foyer d’un air de mépris taciturne.

— Je suis à vos ordres, monsieur, dit le vieillard en courbant sa maigre échine ; permettez-moi seulement de m’étonner…

— De ce que je vienne chez vous si tard par un semblable froid, mon brave homme ? Dame, je n’avais pas le choix de l’heure et de la saison, reprit l’inconnu.

— Que voulez-vous de moi ? demanda maître Gérard avec une crainte secrète. En même temps il regardait le chien, unique gardien de sa solitude, et la bourse qu’il venait de recevoir.

— Une chose bien simple, répondit l’Italien ; je veux votre barque.

— Y songez-vous, monseigneur ? La promenade en Seine est peu praticable par le temps présent, et à moins qu’il ne vous prenne envie d’aller par eau à l’Arsenal…

— Je n’ai rien à faire à l’Arsenal, objecta l’Italien ; c’est une promenade que je veux faire, rien de plus.

Maître Gérard se prit à considérer l’inconnu avec une attention défiante.

Peu de peintres eussent pu trouver un plus curieux sujet d’études ; le visage de cet homme défiait l’analyse et la réflexion. Quelques rides légères sillonnaient son front habituellement pâle et méditatif, mais ces rides indiquaient aussi bien les fatigues de l’esprit que celles du corps. Le ton de l’inconnu était bref et saccadé ; mais il provenait peut-être autant de l’habitude du commandement que d’une résolution soudaine. La flamme qui brillait dans ce