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LE SECRET DE L’ORPHELINE

dire. Mme  Verdon serait peut-être en droit de s’en offenser.

Mais la digne veuve qui est la logeuse de Georgine ne laisse paraître aucun mécontentement. Elle sourit, plisse les yeux et déclare seulement :

— Pauvre garçon !… Il ne se doute pas que vous lui faites en ce moment l’honneur de prononcer son nom.

Et. sans bruit, à son habituelle manière, elle referme sur Georgine la lourde porte.

Une fois dans la rue, la jeune fille imprime à ses traits une stricte gravité et elle a soin de marcher d’un pas lent et rythmé. Autrement, elle pourrait s’échauffer, par cet ardent après-midi d’été, et sa figure en serait gâtée, sans doute.

L’accident est-il à redouter autant qu’elle croit ? Mlle  Favreau possède une si belle santé, un si merveilleux équilibre physique. Son attrayant visage, au teint clair de brune, il n’est pas de fatigues pour l’enlaidir.

Ce privilège n’est d’ailleurs pas le seul que détienne Mlle  Favreau, car elle est née sous une bonne étoile.

À vingt-deux ans, maîtresse absolue d’elle-même, n’ayant pas connu ses parents, ce qui tempère pour elle l’amertume d’en être privée, vouée à un travail honorable, intéressant et lucratif, bien portante, sans ennemis, fièrement indépendante vis-à-vis ses nombreux amis, que lui manque-t-il, en vérité, pour être comblée ? Son portrait, peut-être…

Dans quelques jours elle l’aura, bien à elle, en quelque sorte, impérissable. Ce sera elle à vingt-deux ans, en pleine jeunesse, en pleine joie de vivre.

Pour l’obtention d’un document de cette valeur, elle a décidé d’aller chez Gill, le photographe en vogue de l’Ouest.

Après bien des minutes de marche, la voici d’ailleurs arrivée. La porte est ouverte sur un large escalier de fer, mais avant de le gravir, Georgine s’attarde à considérer les photos qui sont en montre, de chaque côté de la porte.

Il y a là des types assez bien, ma foi. Quelques-uns sont même remarquables ; est-ce dû au talent de l’artiste ? Mais Georgine se rend cette justice qu’aucun de ces Anglais et de ces Anglaises ne possède ses beaux yeux de Canadienne. Et elle entre.

L’escalier gravi, elle pousse la porte d’en face, ainsi qu’une pancarte l’invite à le faire et la voici dans une grande salle entièrement tapissée de photographies de toutes les dimensions. Georgine recommence à examiner, à admirer, à comparer. En faisant ainsi le tour de la pièce, elle est amenée jusqu’à un pupitre où une employée attend en toute patience.

— Je désirerais faire prendre mon portrait, lui confie Georgine.

Condescendante, l’employée s’informe alors du genre de portrait qu’on désire : grand ou petit ? et quel prix désire-t-on y mettre.

Georgine s’explique, puis, ayant feuilleté un album qu’on lui présente, elle fixe définitivement son choix : c’est ainsi qu’elle désire se voir, dans cette pose, l’image finie en sépia et le cadre en ovale.

— C’est bien, fait l’employée qui, ayant noté ces explications, ouvre un peu la porte d’un cabinet de toilette en invitant :

— Si vous voulez vous préparer… M. Gill, ajoute-t-elle, vous attendra en haut.

C’est que prête, Mlle  Favreau l’est déjà. Mais sans doute ne sera-t-il pas mauvais qu’elle revoie sa coiffure à laquelle le chapeau aura infligé quelque avarie. Là, c’est fait. Toutefois, devant la glace dont l’eau claire reflète sa gracieuse personne, Georgine se reprend à s’étudier, à se détailler, comme un peu plus tôt, dans sa chambre. Mlle  Favreau est une personne d’ordre ; elle tient à bien faire ce qu’elle fait.

Ainsi ne devra-t-elle pas oublier, elle se le remémore au dernier moment, d’incliner légèrement la tête en avant ce qui, tout en affinant encore l’ordre presque classique de son visage, mettra en valeur ses très beaux yeux. L’ennui c’est qu’alors son nez, qu’elle a fort et osseux, va paraître plus long sinon plus volumineux. Par contre, la riche chevelure apparaîtra au mieux, avec ses ondes bien égales…

Ayant ouï-dire qu’un vêtement sombre donne de meilleur résultat, en photographie, Georgine a revêtu pour la circonstance certaine robe soyeuse, d’un noir jais : on ne pourrait exiger plus sombre. Pour égayer un peu cette austère toilette, elle a passé à son cou un fil de perles. Outre que les petits grains nacrés sont, par eux-mêmes jolis, ils ne manqueront pas de distraire l’attention et de faire oublier qu’un cou plus long eût ajouté à la perfection… relative de Georgine.

Au moment de se détourner de la glace,