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LE SECRET DE L’ORPHELINE

lui en demander la permission, ils l’enveloppent même d’un magnifique voile de mariée.

Quels lutins ! La jeune fille ne peut se défendre de leurs indiscrètes caresses. Ils l’aveuglent et elle est, à tout moment, obligée d’abaisser les paupières parce qu’ils lui entreraient dans les yeux. Malgré tout, elle sourit. C’est la première neige ! Tient-on rigueur à l’enfant qui, même en temps importun, vous balbutie son premier mot, ou, debout pour la première fois sur ses petites jambes malhabiles, s’en vient à vous ?

Pendant qu’elle traverse le petit parc à l’anglaise qui avoisine l’église, Georgine remarque, en dépit du brouillard mouvant des flocons, un homme qui vient en sens inverse.

Mais soudain, la jeune fille s’arrête presque, saisie. D’ailleurs, l’homme s’est immobilisé le premier. Et le nom qui s’échappe de ses lèvres est une imploration désolée, d’une douceur infinie :

— Georgine ! ! !

Et, il a mis dans ce simple appel un tel poids de gravité que l’interpellée n’ose suivre son impulsion et passer outre.

— Pourquoi vous être montrée si cruelle ? reprend Jacques, avec cet accent charmeur qui broie les entrailles de Georgine. Me répondre de la sorte… Ce que je vous demandais était pourtant si simple, si naturel. Enfin, qu’avez-vous contre moi ?

— Monsieur ! suffoqua-t-elle. Et, abolissant le décor, son imagination, lui montrait, en une vision haïssable, Jacques et Charlotte échangeant le serment de fidélité.

— Voyez donc, fait encore le jeune homme qui se tient tête nue sous le déluge des flocons, il m’a fallu tout ce temps pour préparer la présente rencontre qui n’a rien de fortuite, je vous en donne ma parole. Il faut que je vous parle. Vous avez bien voulu approuver ma décision ; il me reste à vous l’exposer. C’est indispensable. Où pourrai-je vous voir, puisque vous avez quitté Mme Verdon ?

— Permettez-moi de vous dire que je vous trouve un peu ridicule, lance enfin Georgine avec un dédain irrité.

D’ailleurs, elle ne sait plus trop quelles paroles vont lui échapper.

— Veuillez donc vous couvrir, reprend-elle et passer votre chemin. J’ai le droit, je suppose, de circuler à mon gré par la ville et, telle que vous me voyez, je suis déjà en retard pour mon travail.

Elle allait exécuter une courbe à côté de Jacques qui prenait à dessein tout l’étroit trottoir ; mais le jeune homme prévint son geste.

— Georgine ! redit-il, du même accent suppliant.

Par prudence, il avait déployé à demi les bras.

— Écoutez-moi, en grâce ! Vous êtes chrétienne et même, vous sortez justement de l’église. Je vous y vois prier, depuis une semaine…

— Que pouvez-vous me vouloir, puisque nous sommes de parfaits étrangers l’un pour l’autre ?

— Oh ! reproche-t-il, moi qui croyais emporter au moins votre confiance lorsque je vous quittai, sur votre ordre… Enfin, à quelque titre que ce soit, accordez-moi cette entrevue que je sollicite. Si vous l’exigez, ce sera la dernière ; je ne me retrouverai plus sur votre route. Mais, par charité, donnez-moi l’occasion de vous dire ce qu’à tout prix il faut que je vous communique.

— Eh bien, faites vite, proposa-t-elle sans aménité

— Comme cela ? en pleine nature ? Je vous préviens que ce sera assez long ; du moins le pensé-je. S’il vous est impossible de me recevoir chez vous, ne le pourriez-vous faire, par exemple, chez cette excellente parente du Boulevard Crémazie, laquelle vous a déjà fidèlement remis ma lettre ?

— Enfin, dit Georgine, mon travail me réclame pour l’instant et…

— Bah ! une après-midi se rattrape.

— Pas à cette saison-ci, pour nous.

— Alors, remettons à ce soir. Moi-même, je le préférerais.

— Ce soir, je travaille.

— Vraiment ? Mais pas tous les autres soirs de la semaine, je suppose ? Ce serait inhumain.

— Eh bien, jeta-t-elle, dans une exaspération, venez demain soir, à huit heures.

… Maintenant, elle se hâtait vers le bureau, étourdie, mal contente, ne sachant au juste pourquoi elle avait cédé et son cœur battant la charge dans sa poitrine.

Qu’est-ce que Jacques pouvait bien lui vouloir ?