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LE SECRET DE L’ORPHELINE

se. Cependant, elle resta bouche bée devant l’offre de l’original anglais.

Celui-ci, l’aveu enfin prononcé, parut retrouver quelque aisance. Il se déraidit et, en prévision des objections qu’on allait lui servir, il commença de plaider lui-même sa cause. Il était protestant, mais sa femme resterait libre de pratiquer la religion catholique qui était la sienne ; de même, elle élèverait ses enfants comme bon lui semblerait. Si elle le désirait, il lui servirait une pension régulière, tant pour les frais d’entretien de la maison que pour ses dépenses personnelles. Jamais il ne lui demanderait compte de l’emploi de cet argent. Son unique désir était que la paix régnât, chez lui, ainsi que la confiance mutuelle.

Il devenait presque éloquent et ce qu’il disait là, d’abondance, on devinait qu’il avait dû le ruminer depuis longtemps. Georgine en demeurait touchée. Elle songeait qu’en corroborant à cette offre de M. Hannett, son désir de disparaître se trouverait accompli : elle changerait de nom, de qualité, même de race. Le projet comportait vraiment un côté fort attrayant, si attrayant que Georgine pouvait croire que sa bonne étoile lui restait, malgré tout fidèle.

Pour l’instant, une force invincible faisait encore obstacle, cependant. C’est si grave, pour une canadienne, épouser un anglais ! Ils sont nos maîtres. En isolant les cas particuliers, on peut dire qu’ils nous méconnaissent. N’avons-nous pas, aussi, un besoin impérieux de toutes nos forces ? Se donner à l’autre race n’est rien moins qu’une trahison : une perte du côté français, une gloriole du côté anglais.

Mais à l’extrémité où elle se trouvait réduite, ce mariage devenait pour elle une véritable tentation.

Elle reconnaissait avoir, jusqu’ici, accordé trop peu d’estime à son patron. Il était honnête, travailleur, non sans talent ni culture et puis… si joli homme ! Oui, il était destiné à connaître l’amour, comme elle après tout. Ils formeraient, tous deux, un couple superbe. Il l’aimait donc depuis longtemps pour se déclarer ainsi, à la première velléité de la perdre ? Elle ne s’en était jamais doutée. C’est qu’elle avait nourri des préjugés à son égard ; elle lui devait une réparation.

Humblement, son embarras revenant à la surface, M. Hannett sollicite une réponse.

— M’accorderiez-vous jusqu’à samedi ? sollicite Georgine qui, d’instinct, baisse les yeux. Je vous ferai alors connaître ma décision.

Et, comprenant qu’à cet entretien se borne le travail supplémentaire pour lequel il l’a retenue, elle quitte le bureau.

Sur le chemin du retour, les pensées les plus contradictoires s’entrechoquent dans sa tête ; regrets, désirs, craintes, hésitations, font elle ne peut plus se reconnaître dans le dédale de ses sentiments.

— « Mais pourquoi, se demande-t-elle à certains moments, pourquoi cette perturbation dans ma vie ? Je deviens folle… »

Alors, son terrible orgueil s’interpose. Non, elle n’est pas folle. Elle fait bien de quitter le journal, de rejeter Jacques et de se préparer, aussi, à laisser Mme Verdon. Que son honneur fût sauf, d’abord ; qu’importaient les meurtrissures ?

Il se pouvait, toutefois, qu’elle eût eu tort de donner sa démission au journal avant que de s’être trouvé une place ailleurs. En dépit de ses recherches, rien n’avait abouti, encore. Évidemment, un mariage arrangerait tout. Puisqu’elle devait renoncer à Jacques, pourquoi n’épouserait-elle pas le bel homme qui l’adorait et qui le lui avait dit ? C’est qu’avant toute considération, l’idée de passer aux vainqueurs la révoltait. Bah ! n’était-elle pas déjà brisée aux humiliations, sans compter qu’elle portait dans ses veines une goutte de sang que, pour n’être pas anglais, n’était pas canadien non plus.

En entrant à la pension, elle se croisa avec Émile et, à la vue du jeune homme, un tressaillement inexplicable la secoua. Émile, c’était là l’homme bon par excellence et fiable, et courageux, ignorant du sarcasme et indulgent aux détails qui font le tourment des femmes. Jacques était orgueilleux. Ces derniers temps, surtout, il n’avait pas laissé passer une occasion d’humilier celle qu’il prétendait aimer. Il s’exécutait avec esprit, sans doute, et sous le couvert d’un enjouement fort habile, mais l’intention déplaisante n’en demeurait pas moins et Georgine sentait qu’elle ne pourrait plus, désormais, supporter ces méchants coups d’épingle.

Elle voyait même que, sans trop s’en douter, c’est la vérité qu’elle confiait, l’autre jour, à Charlotte : elle n’avait pas dû aimer Jacques Mailiez.

D’ailleurs, sa vraie vie, elle se préparait seulement à la commencer et son premier geste était d’écarter Jacques de son chemin. Cela, c’était décidé. Il restait bien Émile… Mon Dieu, oui. Quoique sûrement sur le