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LE SECRET DE L’ORPHELINE

— Parlez-moi donc de votre marraine, invita M. Mailliez. La voyez-vous toujours ?

— Non, confessa la jeune fille et c’est une vraie confusion pour moi. Je ne l’ai pas revue depuis cette première rencontre. La porte était à clé, lorsque je me suis présentée chez elle. Alors, je lui ai écrit en lui demandant quel jour et à quelle heure elle pourrait me recevoir. Mais je n’ai pas eu de réponse. J’avoue que son silence m’a un peu froissée et j’ai laissé passer le temps. Puis, il m’est venu à l’esprit que ce pouvait bien être sa timidité qui la retenait et j’ai répété ma démarche, pour aboutir au même résultat négatif. Bref, j’ai écrit de nouveau, hier justement, et, mieux avisée, cette fois, je me suis annoncée, en indiquant le jour et l’heure de mon irruption chez elle.

— Irez-vous la voir avant de partir pour les États-Unis ?

Il s’agissait d’une gracieuseté de M. Hannett qui faisait bénéficier sa secrétaire d’un billet de faveur pour la région des grands Lacs.

— Les États-Unis ?… répéta Georgine.

Et une expression indéfinissable envahit sa figure.

— À savoir, dit-elle, si j’irai aux États-Unis.

Les beaux yeux parlaient trop éloquemment pour que le jeune homme se méprit à leur langage. Une buée monte jusqu’aux siens. Frémissant, il insista, toutefois :

— L’idée de cette excursion vous enthousiasmait, l’autre jour… Et ne deviez-vous pas profiter de votre passage à Chicago pour prendre des informations sur votre famille ?

— Tout cela est vrai, admit Georgine, mais j’ai réfléchi. Miss. Munroc, la directrice de notre Page des Dames fait partie du voyage. Elle est complaisante autant qu’intelligente et je sais que je puis m’en remettre à elle pour certaines démarches. Quant au reste, je crois que j’y arriverai au moyen d’une correspondance sérieuse.

— Mais enfin, c’est une aubaine que vous laissez se perdre là. Et pourquoi ?… pourquoi ? …

— Je suis plus casanière qu’on ne veut bien le croire, généralement. Ces quinze ou vingt jours à l’étranger, loin de mes chères habitudes, m’effraient, pour tout dire. J’en serais réduite à écrire une nouvelle chronique dans le genre d’ « Être seul ».

Non, non, il ne pouvait plus être dupe. En vain tentait-elle une tardive retraite. Son visage se congestionna, comme chaque fois qu’une émotion, de quelques violence l’assaillait.

— Eh bien, prononça-t-il, puisqu’il en est ainsi, permettez-moi de vous dire que je préfère moi-même que vous vous absteniez.

De ses yeux large ouverts, Georgine l’interrogea, mais il lui fut impossible de trouver quel motif le poussait à cette décision. Se soumettre ne lui en parut que plus délicieux. Elle baissa à demi les paupières.

Le monde entier avait disparu pour elle.

Soudain, elle tressaillit. M. Mailliez l’appelait, pour la première fois, par son nom :

— Georgine… murmurait-il. Ce n’était pas…

Il vainquit une dernière fois l’hésitation et il osa achever :

— Ce n’était pas un peu parce que je vous aurais manqué ?

D’un geste enfantin, elle plaqua ses mains sur son visage et, délicieusement franche, elle avoua :

— Oui.

— Chérie ! s’écria le jeune homme.

Et, prenant dans les siennes les chères jolies mains qui cachaient le visage rougissant, il les broya presque, sans rien dire d’abord, puis, tout bas, tout bas, si bien que ce n’était guère qu’un souffle :

— Je vous aime ! fit-il.

Après ce mot, il ne restait plus qu’à se taire.

Ayant prolongé quelque peu l’ineffable silence, les tempes en feu, Jacques se retira.

Georgine s’en revenait, comme lui le cerveau perdu, lorsqu’elle se vit aborder par Émile Verdon.

Il s’excusa :

— Pardon, mademoiselle, ma mère demande…

La jeune fille fronça les sourcils et, en un tel moment, elle le jugea importun jusqu’à la plus impardonnable indiscrétion. Allait-il maintenant l’espionner depuis le commencement jusqu’à la fin de ses entrevues avec tel ou tel de ses visiteurs ? C’est lui qui, au début de la soirée, l’avait avertie que M. Mailliez l’attendait. Son admiration de bon chien, elle n’en avait que faire. Ce qu’elle exigeait d’abord, c’était la sauvegarde de son indépendance. La vie de pension comporte assez de petites misères pour qu’on ne dispute pas à ses tenants le privilège de leur état qui s’appelle une relative liberté de mouvements.

Mais depuis quand une femme peut-elle montrer de l’amertume quand on vient de lui dire :