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LE SECRET DE L’ORPHELINE

cousine à moins que ce ne soit ma filleule. Comment se nommait votre père ?

— Joseph Favreau. Il était pharmacien.

Le visage tourmenté s’affaissa soudain et c’est d’une voix morne que l’étrange créature prononça :

— Alors, vous n’êtes rien moins que ma filleule. Si… Si cela vous faisait plaisir d’entendre parler de vos parents, car vous ne les avez pas beaucoup connus ? vous pourriez peut-être venir me voir.

— J’irai avec grand plaisir, promit Georgine. Non seulement je n’ai pas connu mes parents mais personne ne m’a jamais renseignée sur eux. À part le métier de mon père, tout ce que je sais, c’est que mon aïeul avait émigré de France.

— Oui, il venait de la France, approuva l’inconnue en se levant et en appuyant sur le bouton avertisseur.

Elle jeta aussi son adresse à Georgine et elle allait se diriger vers la sortie, sous l’œil paterne du contrôleur rentré dans le char pour se réchauffer, lorsqu’elle crut devoir ajouter, dans un ricanement qui fit mal à entendre :

— Vous voilà avec un beau patron de marraine, n’est-ce pas ?

Deux rues plus loin, Georgine quittait à son tour le tramway.


V


— Au téléphone ? s’informa Georgine penchée sur la balustrade de l’escalier.

— Non, mademoiselle, réplique une voix d’homme ferme et bien timbrée. Vous êtes attendue au salon.

Le temps de se recueillir et à voix contenue, Georgine annonce :

— Je descends.

Rentrée dans sa chambre, elle s’approche de la glace et passe une sûre et minutieuse revue de sa personne, après quoi, de son pas bien féminin, elle s’achemine vers celui qui l’attend.

Ce ne peut être que Jacques Mailliez qui vient lui soumettre sa traduction. Car le jeune homme a sollicité, comme un grand honneur, le droit de traduire lui-même pour les offrir aux lecteurs du Quotidien celles des chroniques de Faverol qu’il jugerait particulièrement propres à les intéresser. « Être seul » a ouvert la série.

Dans le petit salon où reçoivent les pensionnaires de Mme Verdon, M. Mailliez attend. La lampe à abat-jour posée sur la table l’éclaire discrètement. Seul dans la pièce, il a croisé les bras et, à son air absorbé, on croirait qu’il cherche à saisir au-dedans de soi, quelque pensée fuyante, ténue, qui déroulerait son fil de la vierge parmi les méandres du cerveau.

Du passage, où elle s’est une seconde immobilisée, Georgine embrasse tous ces détails et, à s’en pénétrer, elle éprouve une joie particulière, très fine et qui la grise, on dirait.

Elle entre enfin.

Ses joues étaient fraîches comme la rose de juin ! ses lèvres entrouvertes paraissaient sourire à quelque bonheur qui s’en venait et ses yeux sombres n’avaient jamais été si beaux.

Émerveillé, Jacques se laissa éblouir, puis, ayant salué la jeune fille, il s’approcha de la table et déroula quelques feuilles de papier sur lesquelles s’étalait sa large écriture.

Alors commença la séance qui se répétait ce soir pour la cinquième fois.

Lorsqu’ils eurent ensemble revu ce dernier billet de Faverol, qu’ils eurent discuté, puis transposé, biffé, reconstruit et que Georgine eût reçu les conseils que son expérience permettait à M. Mailliez de lui donner, celui-ci remit en rouleau le manuscrit et l’on parla d’autre chose.

Pendant qu’elle causait ainsi avec son visiteur, Georgine entendit qu’Émile Verdon poursuivait lui-même, avec sa mère, une conversation suivie. Ils se trouvaient dans la pièce voisine et si la jeune fille avait prêté l’oreille, elle eût pu ne pas perdre un mot de ce qu’ils disaient. Elle n’en fit rien, trop intéressée par son propre interlocuteur. Bientôt, cependant, son imagination bravant là-dessus, elle se demanda pourquoi ce grand garçon était si sage, jusqu’à passer la majorité de ses soirées à la maison, près de sa mère. Cette question, Mlle Favreau se la posait pour la forme, car enfin, les habitués de la pension se déclaraient fixés là-dessus. Émile ne faisait pas si grand mystère de ses sentiments.

Et Georgine non plus.

— À quoi songez-vous donc ? interrogea brusquement M. Mailliez.

La jeune fille tressaillit.

— Mon imagination allait toute seule, fit-elle.

— Et moi ?… Qu’est-ce que je deviens dans tout cela ?

La plainte émut curieusement Georgine qui mit toute sa grâce à faire oublier sa distraction intempestive.