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LE SECRET DE L’ORPHELINE

à m’apprendre ce qu’on souffre à être seul. Avec le désir morbide de me retrouver dans ce que vous allez dire, je le lus. Ce fut délicieux ! J’eus l’impression d’une jolie main féminine chassant de devant mes yeux les papillons noirs. Qu’il était donc gentiment tourné ce billet, mélancolique juste assez pour s’infiltrer jusqu’aux replis de l’âme.

En ce moment, Georgine méprisait tous les compliments qu’on avait pu lui faire jusqu’ici de son œuvre, et elle se méprisait elle-même pour y avoir pris plaisir.

— Je cherchai, reprenait le jeune Français à percer l’identité de l’auteur — Faverol… C’était vague, comme renseignement. Des expériences de style me portaient à croire que j’avais affaire à une personne jeune, tout au moins, à une débutante des lettres. D’autre part, certains traits frappés si juste révélaient la maturité du jugement. Bref, je demeurai indécis jusqu’à samedi dernier, alors que le supplément de votre journal m’a apporté un renseignement d’importance. L’ayant vue, ce qui équivalait presque à une présentation, je me sentis désormais plus à l’aise avec Mlle Faverol et je résolus de lui soumettre, à la première occasion, une idée qui m’était venue.

— Puis-je savoir ? s’informa Georgine dont les lèvres tremblaient un peu car toute cette scène lui semblait tenir du merveilleux, de l’irréel.

— C’est que ce sera peut-être un peu long. Si… Si je pensais que vous fussiez libre, ce soir par exemple, je solliciterais l’honneur d’être reçu par vous, mademoiselle.

— Mais sans doute. Je serai libre et vous pouvez venir, monsieur. Voici mon adresse, acheva-t-elle en inscrivant aussi, sur un bout de papier, ses nom et prénoms.

Enfin, l’aiguille se décide à marquer cinq heures. Georgine ne s’était jamais sentie une telle impatience à quitter le lieu de son travail. C’est que son entretien avec M. X… avait été coupé au moment le plus palpitant. Qu’avait-il donc à lui proposer ? Une hâte terrible la tenait de l’apprendre et aussi de revoir ce jeune homme.

— Il est séduisant comme tous les Français, disait-elle, une petite vanité dans le cœur au souvenir de son aïeul l’émigré. Je l’aurais bien écouté une heure ou deux, encore.

À la porte de sortie, elle se rencontre avec Katie la petite téléphoniste qui sollicite aussitôt la faveur d’accompagner sa grande amie jusqu’au tramway. Katie professait une grand admiration pour Mlle Favreau qu’elle jugeait spirituelle au possible. Mais ce soir-là, la jeune fille resta au-dessous de sa réputation et, déçue, Katie ne cessait de répéter :

— Qu’avez-vous donc, Miss Favreau ? Votre esprit est ailleurs.

— Katie, ma jolie, vous vous faites des imaginations, protestait distraitement Georgine.

Bientôt, elles atteignirent toutes deux le coin de rue où elles avaient coutume de prendre leur tramway respectif.

Observée du coin de l’œil par sa jeune compagne, Georgine sombra dans un mutisme rêveur.

Soudain la fillette se pencha à son oreille et, sur un ton complice :

— Est-ce quelque chose qui vous préoccupe, demanda-t-elle, ou… si c’est quelqu’un ?

Georgine s’éveille et son regard redevenu lucide distingua aussitôt de l’autre côté de la rue, parmi un groupe compact qui attendait également le tramway, un homme en habits de travail.

À son tour elle se pencha sur sa compagne :

— Voyez-vous le jeune homme qui est là, en arrière du monsieur à lunettes. Il a ses outils à l’épaule ; il est clair que c’est un plombier.

Katie écarquillait les yeux.

— Le maigre dont le visage est sali ?

— Oui. Eh bien, c’est lui qui me préoccupe en ce moment.

La fillette regarda encore une fois l’ouvrier puis l’élégante secrétaire de M. Hannett et elle partit d’un grand éclat de rire. Enfin, Mlle Favreau recouvrait donc sa verve !…

Mais, à sa grande surprise, le plombier se découvrait tout à coup, comme s’il venait de comprendre qu’on s’occupait de lui et, en réponse à son salut, Georgine inclinait la tête en murmurant :

— Bonsoir, Émile.

Katie n’a jamais eu le fin mot de cette aventure.


IV


— Pourquoi ne viendriez-vous pas dîner avec nous :