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L’EXPIATRICE

L’aveu était simple et émouvant. Élisabeth sentit se mouiller ses yeux et d’un geste spontané, saisissant dans les siennes les mains de sa cousine :

— Oh ! oui, dit-elle, le bon Dieu vous récompensera de votre générosité, Raymonde. C’est bien ce que vous faites ; c’est beau. D’ailleurs, ma petite Paule bénéficiera de votre bienfait sans vous la faire payer trop cher. Cet hiver, Mme Deslandes a dû se soigner et son ouvrage se trouvant maintenant en retard, elle parle de renoncer à ses quinze jours annuels de vacances. Comme j’arriverais difficilement à la convaincre, je veux du moins lui procurer quelques petites faveurs, au cours de l’été. Je lui achèterai donc un billet et je lui demanderai de tenir compagnie à Paule afin que je sois libre, moi-même, de me joindre à vous.

— Merci, acquiesça simplement Raymonde.


VII


Avec un bruit d’eau froissée, le bateau glisse et glisse toujours. Sans qu’il ait cessé de côtoyer la rive, Montréal-Est, la Longue-Pointe et la Pointe aux Trembles ont défilé tour à tour et voici maintenant le Bout de l’Île ; de l’autre côté, Varennes regarde et semble battre en retraite. Le soleil est clair et l’air très frais, au-dessus de l’eau.

Vêtue de toile blanche, un petit feutre blanc posé sur la soie blonde de ses cheveux, Paule est comme perdue parmi la foule des pèlerins, la fidèle Mme Deslandes à ses côtés, toutefois. C’est le premier voyage de la jeune fille, le premier dont elle ait conscience, au moins, car paraît-il, elle en a déjà fait un en compagnie de son père. Mais elle était alors un bébé et elle n’a pas conservé le moindre souvenir de Ste-Croix de Lotbinière où elle est née, non plus, naturellement, que du trajet parcouru pour atteindre Montréal.

Que c’est beau un premier voyage pour une toute jeune fille dont l’esprit est libre de soucis, la mémoire presque vierge, l’âme enfin légère et perméable comme une écharpe de fine gaze !

Lourd de ses deux ponts chargés de pèlerins, le vapeur file toujours, en côtoyant maintenant la rive sud. On a vu à gauche, Charlemagne, Repentigny, à droite c’est Verchères avec l’héroïque statue de Madeleine, Contrecœur puis Saint-Ours, à gauche Lavaltrie, Lanoraie aux noms chargés d’une poésie qui étreint un peu le cœur parce qu’elle jaillit des premiers temps, toujours difficiles, souvent ensanglantés. Passé les îles de Sorel, on entre tout à coup dans le lac Saint-Pierre dont une ceinture de brume élargit la perspective, en effaçant les contours ; on dirait une mer grise aux lames courtes et sournoises.

Mlle Paule, prendriez-vous quelque chose ?

Paule a un léger mouvement de surprise.

— Serait-il déjà midi, Mme Deslandes ? Il me semble que nous venons de partir.

La vieille dame consulte sa montre.

— Il passe un peu onze heures, dit-elle. Mais c’est que Mlle Dufresne m’a donné des sous à dépenser. Tenez, vous êtes jeune, vous, Mlle Paule, rendez-vous donc au restaurant et choisissez pour le mieux.

Paule parvient, sans trop de difficulté à franchir le rang pressé des chaises. Elle a l’air si avenant qu’on se fait un plaisir de lui ouvrir le passage. Les pièces blanches dans sa main, tanguant un peu, la jeune fille se dirige vers la cale sans se douter qu’un sourire flotte sur ses lèvres et que d’aucuns, peut-être, s’en emparent de ce sourire. C’est si beau, un premier voyage !

Ce matin, au quai, Élisabeth n’avait pas été peu surprise de voir arriver, en même temps qui ses cousines les deux messieurs Dufresne.

— C’est une surprise ! avait crié Raymonde. Parce que papa se refusait, vous pensiez n’est-ce pas Élisabeth que nous serions privés de cavaliers. Quelle erreur !

Cependant, Raymonde s’était attendue à plus d’entrain de la part de ces messieurs et elle ne douta point — probablement à tort — qu’ils ne fussent secrètement mécontents de la place qu’elle avait elle-même choisie. Ce que voyant, après avoir exprimé, au moins dix fois, l’avis qu’on trouverait sans doute mieux ailleurs elle se mit tout à coup sur pied en disant :

— Qui m’aime me suive ! Nous allons faire le tour complet du bateau et alors nous verrons bien… C’est le plus sûr moyen de nous fixer.

Noëlla avait instinctivement imité son geste, ainsi qu’Édouard et Jean-Louis. Seule, Élisabeth resta paresseusement assise.

— Allez, dit-elle, moi, je garderai vos chaises.

Il était alors un peu plus de onze heures et l’on quittait les îles de Sorel. Mlle Dufresne ne voyait pas de si pressante nécessité à changer de poste d’observation. Par ce temps de brume, le lac Saint-Pierre était le même aux quatre coins de l’horizon et, sa longueur franchie, on serait presque rendu.

Jean-Louis s’était rassis impétueusement.

— Chérie, dit-il à Élisabeth, je ne vous quitterai pas.

Car Jean-Louis jouait à l’amoureux, auprès de sa cousine. Cela datait d’assez loin déjà et la jeune fille avait d’abord hautement protesté contre cette extravagante invention ; mais ç’avait été pour incliner bien vite vers l’indulgence. Cela ne faisait de mal à personne… Cela ne rimait à rien… Pardessus tout, elle se fût reproché de rebuter ce petit cousin, nature pleine de charme mais déplorablement faible et à qui le contact dissolvant de l’aîné ne pouvait être d’un grand secours.

Élisabeth le couvrait, en ce moment, d’un regard très sérieux. Une inspiration soudaine lui était venue qu’elle essayait de juger avec sang-froid.

— Je me demande, lui dit-elle tout à coup, ce que vous avez pu penser de ma petite Paule ?

— Belle ! fit-il, avec un grand signe affirmatif. Belle !

— C’est tout ? Cela suffit, d’ailleurs ; mais je vous croyais plus vibrant.

— Oh ! dit-il, j’ai vibré la première fois.