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En rappelant le souvenir de mes dernières années, j’y trouvai un tel enchaînement de malheurs, qu’il me sembla que ma vie était engagée à l’infortune… j’accusai ma destinée, et, comme l’amour de Marie me restait assez puissant pour lutter seul contre toutes mes peines, je m’efforçai de me ravir à moi-même cette dernière consolation, et mon esprit fut ingénieux à forger des soupçons et des défiances qui n’étaient pas dans mon cœur. Je savais que la légèreté est le défaut de toutes les femmes ; parmi celles qui sont constantes, la plupart ne le sont que par faiblesse : on peut, en restant près d’elles, perdre leur amour ; mais n’est-ce pas le seul moyen de conserver leur foi ? J’ai toujours cru que les hommes ont des affections plus profondes ; les femmes, des passions plus vives : les premiers aiment mieux de loin ; les femmes, de près : l’homme a plus d’imagination, et l’imagination va toujours au-delà du réel ; la femme, plus de sensibilité, et la sensibilité se nourrit d’excitations instantanées. J’avais vu Marie tout en larmes à mon départ… mais son amour serait-il puissant contre l’absence ? Moi, j’avais été courageux devant elle, et loin de sa vue je pleurais.

Alors commença pour moi une vie de misère profonde, et presque de honte ; car je sentis défaillir mon courage. La douleur d’être séparé de celle que j’aimais abattait mon âme ; et je me trouvai en face de malheurs qui dépassaient tout ce que mon imagination avait pu prévoir. Mais à quoi bon vous affliger de l’histoire de mes maux ?

Ici Ludovic s’arrêta ; sa physionomie prit un aspect plus sombre, son regard devint fixe, et ses lèvres immobiles demeuraient en suspens, comme si elles se refusaient à un douloureux aveu.

— De grâce, s’écria le voyageur, continuez un récit qui m’instruit et me touche. Je suis avide de connaître votre destinée… Parlez, je vous en supplie.

— Je ne vous ai pas dit la moitié de mes malheurs ; et quel intérêt…

L’intérêt le plus vif, répliqua le voyageur, me rend attentif à vos paroles. Vous me racontez vos peines ; ce sont elles qui me captivent. Je n’ai jamais recherché ni les joies ni les félicités du monde ; mais je me suis toujours senti attiré par