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Mississipi et l’Ohio, et vont chercher, dans les États du centre ou du Nord, à Philadelphie ou à Boston, un climat plus salubre. Quand la saison des grandes chaleurs est passée, ils reviennent dans le Sud, et reprennent place à leur comptoir. Ces migrations annuelles n’ont rien qui gêne un célibataire ; mais elles seraient incommodes pour une famille entière. L’Américain évite tout embarras en se passant d’épouse, et en prenant une compagne illégitime ; il choisit toujours celle-ci parmi les femmes de couleur libres ; il lui donne une espèce de dot ; la jeune fille se trouve honorée d’une union qui la rapproche d’un blanc ; elle sait qu’elle ne peut l’épouser ; c’est beaucoup à ses yeux que d’en être aimée… Elle aurait pu, d’après nos lois, se marier à un mulâtre ; mais une telle alliance ne l’eût point sortie de sa classe. Le mulâtre n’aurait d’ailleurs pour elle aucune puissance de protection ; en épousant l’homme de couleur, elle perpétuerait sa dégradation ; elle se relève en se prostituant au blanc. Toutes les jeunes filles de couleur sont élevées dans ces préjugés, et dès l’âge le plus tendre, leurs parents les façonnent à la corruption. Il y a des bals publics où l’on n’admet que des hommes blancs et des femmes de couleur ; les maris et les frères de celles-ci n’y sont pas reçus ; les mères ont coutume d’y venir elles-mêmes ; elles sont témoins des hommages adressés à leurs filles, les encouragent et s’en réjouissent. Quand un Américain tombe épris d’une fille, c’est à sa mère qu’il la demande ; celle-ci marchande de son mieux, et se montre plus ou moins exigeante pour le prix, selon que sa fille est plus ou moins novice. Tout cela se passe sans mystère ; ces unions monstrueuses n’ont pas même la pudeur du vice qui se cache par honte, comme la vertu par modestie ; elles se montrent sans déguisement à tous les yeux, sans qu’aucune infamie ni blâme s’attachent aux hommes qui les ont formées. Quand l’Américain du Nord a fait sa fortune, il a atteint son but… Un jour il quitte la Nouvelle-Orléans, et n’y revient jamais… Ses enfants, celle qui, pendant dix ans, vécut comme sa femme, ne sont plus rien pour lui. Alors la fille de couleur se vend à un autre. Tel est le sort des femmes de race africaine à la Louisiane.

— En disant ces mots, Nelson laissa échapper un soupir.