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draient qu’on affranchît d’un seul coup tous les nègres ; d’autres, qu’on déclarât libres tous les enfants à naître des esclaves. Ceux-ci disent : Avant d’accorder la liberté aux noirs, il faut les instruire ; ceux-là répondent : Il est dangereux d’instruire des esclaves.

Ne sachant quel remède employer, on laisse le mal se guérir de lui-même. Les mœurs se modifient chaque jour ; mais la législation n’est pas changée : la loi punit de la même peine le maître qui montre à écrire à son esclave, et celui qui le tue ; et le pauvre nègre coupable d’avoir ouvert un livre encourt le châtiment du fouet[1].

ludovic.

Quelle cruauté ! Je conçois que vous n’affranchissiez pas subitement tous les nègres ; mais d’où vient que vous flétrissez de tant de mépris ceux à qui vous avez donné la liberté ?

nelson.

Le noir qui n’est plus esclave le fut, et, s’il est libre, on sait que son père ne l’était pas.

ludovic.

Je concevrais encore la réprobation qui frappe le nègre et le mulâtre, même après leur affranchissement, parce que leur couleur rappelle incessamment leur servitude ; mais ce que je ne puis comprendre, c’est que la même flétrissure s’attache aux gens de couleur devenus blancs, et dont tout le crime est de compter un noir ou un mulâtre parmi leurs aïeux.

nelson.

Cette rigueur de l’opinion publique est injuste sans doute ; mais elle tient à la dignité même du peuple américain… Placé en face de deux races différentes de la sienne, les Indiens et les nègres, l’Américain ne s’est mêlé ni aux uns ni aux autres. Il a conservé pur le sang de ses pères. Pour prévenir tout contact avec ces nations, il fallait les flétrir dans l’opinion. La flétrissure reste à la race, lorsque la couleur n’existe plus.

  1. Voyez à la fin du volume la note sur la condition sociale et politique des nègres esclaves et des gens de couleur affranchis.