Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

douce clarté de l’astre des nuits venant avec son cortége de tendres rêveries ; tout un monde de sentiments, d’idées, de passions, qui s’agitait dans mon cœur au milieu d’un monde muet et d’une nature endormie : ces vives impressions, météore de l’âme, apparaissent à mon souvenir en traits de feu.

J’interrogeais encore Marie, et je lui disais :

— Pourquoi repousses-tu ce sourire qui te cherche ? Écoute, mon cœur ne bat-il pas d’accord avec ton cœur ? ne sens-tu pas mon âme se mêler à la tienne ? elles s’unissent, se confondent, et nulle puissance ne peut plus les diviser. Malheur à celui qui romprait cette alliance sacrée ! malheur !…

— Arrêtez ! s’écria Marie ; elle se tut quelques instants : — Ludovic, reprit-elle ensuite, je n’essaierai point de vous peindre les sentiments dont mon âme est remplie… Vous venez de me parler une langue dont je comprends le sens, parce que c’est celle du cœur ; mais je n’en sais pas les mots… Ah ! de grâce, cessez des discours qui m’enivrent et me désolent ! L’image du bonheur est trop cruelle pour qui ne saurait être heureux. Vous m’aimez, Ludovic… Mon Dieu ! cet amour, qui fait ma joie, est le gage de mon infortune… Ah ! ma destinée est affreuse ! Encore un jour… et vous en saurez le secret…

Cependant nous touchions aux portes de la cité. — Demeurez, me dit-elle d’une voix impérieuse ; voici la ville… je dois être seule.

En prononçant ces mots, elle s’éloigna, me laissant plein d’un trouble profond.

Oh ! que les heures d’incertitude sont longues et cruelles, quand on est sûr d’un malheur, et qu’il n’y a de douteux que sa nature !

Le malheur connu donne à l’âme un point d’appui. Elle souffre ; mais elle sait la cause de sa souffrance ; elle s’y arrête, s’y attache, et ce profond sentiment de sa peine est une proie dont elle se saisit.

Mais une infortune qu’on sent avant de la connaître, un mal insaisissable qui se présente à l’imagination sous mille formes diverses, une douleur vague et poignante dont on ignore la cause, le genre et la durée : un pareil supplice,