Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Toutes les femmes de ce pays apprennent la musique ; mais presque aucune ne la sent ; elles en font par mode, et non par goût. « Nous aimons la musique comme les enfants aiment le bruit, » me disait un Américain. Si, au milieu de ce monde insensible, quelque harmonie veut éclore, elle est étouffée dans son germe par l’atmosphère froide et sourde dont elle est environnée, comme un son meurt en naissant sur une terre plate qui n’a point d’écho.

Quelle fut ma surprise lorsque j’entendis la voix de Marie se mêler, touchante et harmonieuse, tantôt aux accords brillants d’une harpe, tantôt aux douces modulations d’un piano, lorsque je vis ses doigts se jouer, pleins de grâce et de légèreté, sur les cordes de l’une et sur l’ivoire de l’autre !

Après avoir traversé des contrées arides, sauvages, monotones, de longs déserts de sable sous un soleil brûlant, si le voyageur rencontre par accident un frais vallon, où coule une eau murmurante, où la verdure sourit à ses regards, enivre ses sens de doux parfums, et lui donne d’épais ombrages, il s’arrête enchanté dans ce lieu charmant, s’y repose avec délices, et, sentant revenir la force à ses membres, la joie à son cœur, il croit trouver réunis dans cet étroit asile tous les trésors et toutes les beautés de la nature.

Telle fut l’impression que j’éprouvai lorsque, dans la société froide d’Amérique, j’entendis résonner une touchante mélodie.

Tout est renfermé dans une belle musique : imagination, poésie, enthousiasme, sensibilité, puissance de génie, tendresse de cœur, chant de gloire, soupirs d’amour !

L’harmonie fait rêver ; mais ce n’est pas une rêverie à vide… Ces sons qui retentissent à mon oreille n’ont point de corps ; c’est quelque chose de plus que la pensée, et qui est différent de la parole : c’est une voix mystérieuse qui ne s’adresse qu’à l’âme. Que signifie son langage ? Je ne puis le dire, mais je le comprends…

Ma passion pour la musique n’est pas seulement un goût frivole : je l’aime aussi par raison ; je lui dois la seule bonne mémoire qui me reste, et l’on a surtout besoin de mémoire quand on n’est heureux que dans le passé. Chaque jour efface de mon esprit quelques-uns de mes souvenirs ; cependant il