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que, tout éloge restreint est une injure ; pour être juste envers lui, il faut manquer à la vérité.

Ces conversations, dans lesquelles je ne répondais jamais à toutes les exigences de l’orgueil américain, m’embarrassaient toujours ; il me tardait aussi d’en voir le terme, parce qu’elles étaient d’ordinaire suivies de plus doux entretiens ; mais leur fin se faisait quelquefois attendre long-temps. On ne cause point aux États-Unis comme en France : l’Américain discute toujours ; il ignore cette façon légère d’effleurer la surface des questions dans un cercle de plusieurs personnes, où chacune place son mot, brillant ou terne, pesant ou léger ; où celle-ci termine la phrase commencée par une autre, et dans lequel on aborde tout, excepté la profondeur des sujets. En Amérique, on ne vise pas à l’esprit, on raisonne : aussi la conversation n’est-elle jamais générale ; elle se fait toujours à deux. Suivant cette coutume, Marie et Georges restaient étrangers à mes discussions avec Nelson, de même que celui-ci ne prenait aucune part aux entretiens que j’avais ensuite avec Georges et Marie. Habituellement, Nelson commençait la soirée en demandant à sa fille s’il avait paru quelque ouvrage nouveau ; car, aux États-Unis, les hommes ne lisent rien ; ils n’en ont pas le temps : ce sont les femmes qui se chargent de ce soin ; elles rendent compte de toutes les publications politiques et littéraires, soit à leur père, soit à leur époux, et mettent ceux-ci à même d’en parler comme s’ils les connaissaient. Nelson priait ensuite Marie de faire de la musique.

La jeune fille éprouvait quelque gêne de ma présence ; cependant, comme son père avait coutume de ne point l’écouter, elle pouvait croire que je ne serais pas plus attentif. En général, dans les salons américains, quand la musique commence, c’est le signal de la conversation. J’avoue que j’étais d’abord peu curieux d’entendre Marie : la plupart des Américaines sont au piano comme des automates ; elles ont pris trois mois de leçons ; elles retiennent par cœur une valse et une contredanse ; quand on les prie de jouer, elles courent à leur piano, et, sans prélude, répètent en toute hâte le peu qu’elles ont appris, semblables à ces enfants qui savent une fable, et la débitent à tous venants sans la comprendre.