Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le jour où j’entrai chez Nelson fut celui qui décida de mon sort. Je dois donc vous faire connaître cet Américain.

Son premier abord n’était point agréable : un maintien sévère, un langage froid, des formes rudes, telle était l’apparence extérieure de son caractère ; mais cette grossière écorce cachait des vertus d’un grand prix ; il était juste envers ses semblables, charitable au malheureux, et doué d’une fermeté d’esprit que je n’ai jamais rencontrée dans un autre homme ; il possédait encore une qualité que j’admirai d’autant plus en Amérique, que je l’avais moins vue en France : c’était de ne rien dire sans réflexion, et de ne jamais parler des choses qu’il ne savait pas *.

Habituellement calme dans ses discours, Nelson avait quelques passions sous l’influence desquelles sa froideur s’animait. La première, c’était un orgueil national poussé jusqu’au délire ; il ne parlait qu’en termes magnifiques de la sagesse et de la grandeur du peuple américain. Sa seconde passion était une haine : il détestait les Anglais ** ; enfin, sectateur ardent de la communion presbytérienne, Nelson nourrissait dans son âme un sentiment voisin de l’inimitié contre les catholiques et les unitaires, reprochant aux premiers de croire tout, et aux autres de ne rien croire.

J’aperçus dans le caractère de Nelson un dernier trait qui me frappa : quoiqu’il vécût dans une société où tout le monde a des esclaves ***, il ne voulut jamais en posséder aucun ; il avait acheté dans la Virginie deux nègres, qu’il s’était empressé d’affranchir des leur arrivée dans le Maryland, et dont il avait fait ses domestiques. L’un d’eux, nommé Ovasco, avait pour son maître un attachement qui ressemblait à un culte, et dont plus tard j’admirai les effets.

Fixé depuis plusieurs années à Baltimore, Nelson occupait dans cette ville une haute position sociale ; il avait d’abord trouvé dans le commerce une source féconde de fortune et de crédit. Alors il menait un train brillant ; sur un riche équipage, ses armes étaient peintes, avec cette devise : « Ubi libertas, ibi patria. » La même inscription avait été gravée sur le cachet dont il scellait toutes ses lettres, et sur lequel on lisait aussi : « John Nelson, 1631. » C’était le nom du chef de sa famille, et la date de son émigration en Amérique. Nel-