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ne blessent même pas la susceptibilité populaire. Toute puissance, aux États-Unis, vient du peuple, et tout y doit retourner ; là, il faut être démocrate, sous peine d’être traité comme un paria. Les mœurs de la démocratie ne plaisent pas à tous, mais tous sont forcés de les accepter ; plusieurs seraient tentés de se faire des habitudes plus nobles ; de prendre des mœurs moins triviales, et de créer une classe supérieure à la classe unique qui existe ; il en est qui souffrent de serrer la main de leur cordonnier ; pour d’autres il est pénible de ne pouvoir trouver un laquais qui consente à monter derrière leur voiture, n’importe à quel prix[1] ; ceux-ci voient avec douleur les affaires publiques conduites par des masses peu éclairées ; ceux-là s’indignent de ce que les emplois politiques sont le plus souvent confiés aux hommes médiocres ; mais il leur faut étouffer ces chagrins et ces passions ; ceux qui manifestent de pareils sentiments encourent aussitôt la réprobation populaire, et il leur faut à tout jamais renoncer au moindre avenir politique dans leur pays.

Quand vient le jour des élections, seul chemin pour arriver au pouvoir, la voix des masses se fait entendre et brise tous ces petits instincts de résistance et d’hostilité contre la puissance populaire.

J’ai été surpris de voir un auteur anglais qui a écrit avec talent sur les mœurs des États-Unis (Hamilton), tomber dans les erreurs que je viens de combattre, et prétendre qu’il n’y a pas plus d’égalité pratique aux États-Unis qu’en Angleterre. Entre autres arguments à l’appui de son opinion, il rapporte une soirée passée par lui dans un salon de New-York, où se trouvaient réunies des personnes de professions diverses. « Or, dit-il, une dame près de laquelle j’étais placé était tout aussi choquée que moi de voir dans un salon brillant des femmes d’une condition vulgaire. Cette jeune personne, me faisait-elle observer, est certainement jolie, mais c’est la fille d’un marchand de tabac ; cette autre danse bien, mais elle n’a reçu aucune éducation, etc. » M. Hamilton conclut de là que les conditions, aux États-Unis, ne sont point égales ; cependant il aurait pu répondre à la dame qui lui faisait de telles observations : « Ces femmes communes et vulgaires sont nos égales ; car vous êtes ensemble dans le même salon[2]. »

  1. Il n’est pas un domestique blanc qui voulût se soumettre à un pareil service.
  2. V. Hamilton, p. 65 et 66.