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fondamentale [1], ne reconnaissent aucune noblesse, accordent cependant une grande considération aux titres nobiliaires.

Un étranger est sûr d’être accueilli avec enthousiasme, très-bien, seulement bien, ou froidement, selon qu’il est duc, marquis, comte, ou qu’il n’est rien. Un titre excite tout d’abord l’attention des Américains, attire leurs hommages ; la question de savoir si celui qui le porte vaut la moindre chose n’est que secondaire. Leurs institutions politiques et leur état social ne leur permettant pas de prendre des titres nobiliaires, on les voit se rattacher par tous les moyens possibles à de petites distinctions aristocratiques. Je ne parle pas ici de la qualité de gentleman que prend le moindre conducteur de diligence et le dernier aubergiste : mais quiconque arrive soit par le commerce, soit par le barreau ou par toute autre profession à une position de fortune un peu supérieure à celle du plus grand nombre, ne manque pas d’ajouter à son nom le titre d’esquire (écuyer). Beaucoup prennent des armes qu’ils portent sur leurs cachets et sur leurs voitures ; dans le Maryland, qui est un des États les plus démocratiques, on voit d’ardents démocrates ajouter un de à leur nom, et y joindre un nom de terre.

Que conclure de tous ces faits ? Qu’il n’existe pas d’égalité réelle aux États-Unis, et qu’il y a dans les mœurs une tendance aristocratique ? Non assurément. Ce qui se passe à cet égard n’est point un progrès du présent vers l’avenir, c’est une réminiscence du passé.

Lorsqu’on étudie, soit les institutions, soit les mœurs des Américains, il ne faut jamais oublier que leurs aïeux étaient Anglais. Ce point de départ exerce sur leurs lois et sur toutes leurs habitudes une influence qui sans doute tend continuellement à s’affaiblir, mais qui ne disparaît jamais entiérement. Or, il y a deux choses qui en Angleterre occupent le premier rang dans l’opinion des hommes : la naissance et la fortune. Voilà la vraie source du respect qu’ont les Américains pour la fortune et la naissance. C’est une tradition transmise d’âge en âge, un vieux souvenir, un préjugé antique, et qui lutte seul contre toute la puissance des lois et des mœurs. Du reste, cette lutte n’est pas sérieuse ; cet amour des titres, ce goût des armoiries, ces prétentions de familles, sont des jeux et des essais de la vanité ; partout où il y a des hommes, leur orgueil cherche des distinctions ; mais la meilleure preuve que ces distinctions chez les Américains n’ont rien de réel, c’est qu’elles

  1. V. art. 7 de la section 9 de la constitution des États-Unis.