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persuadent que la vie des affaires est la seule qui convienne à l’homme.

Le sort de la jeune fille n’est point le même ; son éducation morale dure jusqu’au jour où elle se marie. Elle acquiert des connaissances en histoire, en littérature ; elle apprend, en général, une langue étrangère (ordinairement le français) ; elle sait un peu de musique. Sa vie est intellectuelle.

Ce jeune homme et cette jeune fille si dissemblables s’unissent un jour par le mariage. Le premier, suivant le cours de ses habitudes, passe son temps à la banque ou dans son magasin ; la seconde, qui tombe dans l’isolement le jour où elle prend un époux, compare la vie réelle qui lui est échue à l’existence qu’elle avait rêvée. Comme rien dans ce monde nouveau qui s’offre à elle ne parle à son cœur, elle se nourrit de chimères, et lit des romans. Ayant peu de bonheur, elle est très-religieuse, et lit des sermons. Quand elle a des enfants, elle vit près d’eux, les soigne et les caresse. Ainsi se passent ses jours. Le soir, l’Américain rentre chez lui, soucieux, inquiet, accablé de fatigue ; il apporte à sa femme le fruit de son travail, et rêve déjà aux spéculations du lendemain. Il demande le dîner, et ne profère plus une seule parole ; sa femme ne sait rien des affaires qui le préoccupent ; en présence de son mari, elle ne cesse pas d’être isolée. L’aspect de sa femme et de ses enfants n’arrache point l’Américain au monde positif, et il est si rare qu’il leur donne une marque de tendresse et d’affection, qu’on donne un sobriquet aux ménages dans lesquels le mari, après une absence, embrasse sa femme et ses enfants ; on les appelle the kissing families. Aux yeux de l’Américain, la femme n’est pas une compagne, c’est une associée qui l’aide à dépenser, pour son bien-être et son comfort, l’argent gagné par lui dans le commerce.

La vie sédentaire et retirée des femmes, aux États-Unis, explique, avec les rigueurs du climat, la faiblesse de leur complexion ; elles ne sortent point du logis, ne prennent aucun exercice, vivent d’une nourriture légère ; presque toutes ont un grand nombre d’enfants ; il ne faut pas s’étonner si elles vieillissent si vite et meurent si jeunes.

Telle est cette vie de contraste, agitée, aventureuse, presque fébrile pour l’homme, triste et monotone pour la femme ; elle s’écoule ainsi uniforme jusqu’au jour où le mari annonce à sa femme qu’ils ont fait banqueroute ; alors il faut partir, et l’on va recommencer ailleurs la même existence.